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La directrice de Solidarité Femmes 68 Véronique Laouer anime une formation à la brigade d'intervention de nuit de Colmar, le 15 juin 2021. ©A.T.

Reportage : for­ma­tion à la lutte contre les vio­lences conju­gales des policier·ères de Colmar

Quelques jours après que Colmar a été mar­qué par le 49 ème fémi­ni­cide de l’année, Causette a pu assis­ter, le 15 juin, à la for­ma­tion de sen­si­bi­li­sa­tion sur les vio­lences conju­gales des policier·ères du com­mis­sa­riat de la pré­fec­ture du Haut-Rhin. 

C’est un début de soi­rée par­ti­cu­lier qui s’annonce ce 15 juin pour la bri­gade d’intervention de nuit du com­mis­sa­riat de Colmar (Haut-​Rhin). Avant de prendre leur ser­vice, les policier·ères viennent assis­ter, à 19h, à la der­nière ses­sion de for­ma­tion de sen­si­bi­li­sa­tion sur les vio­lences conju­gales, orga­ni­sée conjoin­te­ment par le com­mis­sa­riat, le par­quet et l’association Solidarité Femmes 68. L’objectif de la séance de deux heures : com­prendre et appré­hen­der au mieux le méca­nisme insi­dieux des vio­lences conju­gales pour celles et ceux qui sont, la nuit, en pre­mière ligne dans la lutte contre ce fléau. Le tout dans un contexte trau­ma­tique face à un fémi­ni­cide sur­ve­nu le 3 juin et très média­ti­sé, le 49è de l'année. Ce jour-​là, un homme de 52 ans et déjà condam­né pour vio­lences aggra­vées sur sa com­pagne en 2018 a défe­nes­tré cette der­nière, 48 ans, du 8e étage d'une tour dans le quar­tier du stade du Ladhof. Les six mois d'emprisonnement assor­tis d'un sur­sis avec mise à l'épreuve pen­dant 3 ans n'ont, selon toute vrai­sem­blance, pas suf­fit à pro­té­ger la vic­time. En ce 15 juin, c'est donc avec la volon­té de « don­ner un coup de col­lier » à l'effort col­lec­tif pour empê­cher ces morts que Virginie Perrey, com­mis­saire de police, intro­duit la séance.

Malgré la cha­leur étouf­fante, la salle de repos s’est rem­plie à la hâte et aucun·e des qua­torze policier·ères de la patrouille ne manque à l’appel. Et lorsque la direc­trice de Solidarité Femmes 68, prend la parole à 20 heures, le silence se fait immé­dia­te­ment. Il faut dire que Véronique Laouer n’en est pas à son coup d’essai : c’est la qua­trième et der­nière for­ma­tion qu’elle anime au com­mis­sa­riat. Avec à chaque fois, une ving­taine de policier·ères, tous et toutes volon­taires. « C’est rela­ti­ve­ment rare que l’on inter­vienne auprès de ces pro­fes­sion­nels, explique Véronique Laouer à CausetteC'est vrai­ment une très bonne expé­rience, depuis que je le fais, je sens que les men­ta­li­tés des poli­ciers s’ouvrent. » 

Lire aus­si : Colmar : la ville met le paquet pour lut­ter contre les vio­lences conjugales

La for­ma­tion est avant tout théo­rique même si Véronique Laouer aime­rait qu'elle soit davan­tage inter­ac­tive. « Le but quand même c'est qu'il y ait des échanges sur leurs pro­blé­ma­tiques de ter­rain, sou­ligne la direc­trice de Solidarité Femmes 68. Ça dépend des ses­sions mais en géné­ral, ils écoutent et ne posent pas beau­coup de questions. »

Démonter les a priori

La genèse de cette for­ma­tion prend racine en sep­tembre 2020. Céline, alors bri­ga­dière depuis quatre ans au sein du com­mis­sa­riat de Colmar sou­haite s’investir davan­tage dans la lutte contre les vio­lences conju­gales. Après avoir pen­sé à l’amélioration de l’accueil et de la prise en charge des vic­times au sein même de la struc­ture, la jeune femme contacte Véronique Laouer. « J’ai depuis long­temps la volon­té de faire évo­luer la police sur ce sujet, confie Céline à CausettePour cela, il était néces­saire de for­mer les poli­ciers aux vio­lences conju­gales. De démon­ter leurs a prio­ri et leurs incom­pré­hen­sions. La for­ma­tion a d'ailleurs tel­le­ment bien mar­ché cette année qu'on en refe­ra une en sep­tembre avec les nouveaux. »

La pre­mière a lieu en décembre 2020 avec le sou­tien du par­quet de Colmar. La vice-​procureure en charge des vic­times de vio­lences intra­fa­mi­liales, Nathalie Kielwasser, inter­vient en effet aux côtés de Véronique Laouer durant la for­ma­tion pour infor­mer sur le contexte légis­la­tif et le trai­te­ment judi­ciaire. « Au début on s’est heur­té à quelques refus, des poli­ciers qui consi­dé­raient, après vingt ans de métier, ne pas avoir besoin de se for­mer, se sou­vient la bri­ga­dière Céline. Mais très vite, on a consta­té un avant et un après sur les poli­ciers for­més. Ils sont davan­tage plus empa­thiques à l'égard des vic­times. » Un constat qu’a éga­le­ment pu obser­ver Virginie Perrey, la com­mis­saire de Colmar, qui a sui­vi elle-​aussi la for­ma­tion. « Avant, je ne com­pre­nais pas pour­quoi les femmes vic­times de vio­lences reti­raient leurs plaintes et fai­saient reve­nir leur conjoint chez elles, confie-​elle à Causette. Maintenant, je les com­prends. » La com­mis­saire nous confie qu'elle aime­rait d'ailleurs consti­tuer à terme une bri­gade spé­cia­li­sée dans le trai­te­ment des vio­lences conju­gales mais qu'elle manque pour l'instant cruel­le­ment de moyens. 

Sept départs avant la rup­ture définitive

Nathalie Kielwasser elle aus­si rêve d'une uni­té dédiée – des magistrat·es spécialisé·es en l'occurrence – aux vio­lences conju­gales, eu égard à la spé­ci­fi­ci­té de ces délits, qui impliquent sou­vent l'emprise de l'auteur sur sa vic­time. C'est pour­quoi Véronique Laouer débute tou­jours la for­ma­tion en expli­quant le cycle infer­nal des vio­lences conju­gales, qui implique qu’une majo­ri­té des vic­times ne par­viennent pas à se défaire de l’emprise de leur com­pa­gnon ou ex-​compagnon. « On a consta­té qu’il y a quatre phases : la lune de miel où tout se passe bien, la mon­tée des ten­sions, la crise de vio­lence puis le trans­fert de culpa­bi­li­té de l'auteur sur sa vic­time, explique la direc­trice de Solidarité Femmes 68 aux policier·ères. Au moment de la crise de vio­lence, la femme vous appelle et porte plainte. À cet ins­tant, elle est per­sua­dée de se sépa­rer de son conjoint. Peu de temps après, elle revient au com­mis­sa­riat pour reti­rer sa plainte en étant per­sua­dée là aus­si qu’il va chan­ger. Il faut comp­ter en moyenne sept "faux" départs avant la rup­ture défi­ni­tive. » 

A Colmar, 70 % des inter­ven­tions de nuit concernent les vio­lences conjugales 

Un poli­cier sou­lève alors une dif­fi­cul­té épi­neuse : « C'est com­pli­qué car sur le ter­rain, elles nous disent "il y a les enfants et je l'aime". Par exemple, une femme appe­lait très régu­liè­re­ment pour des vio­lences conju­gales mais ne sou­hai­tait jamais por­ter plainte ni se sépa­rer de son conjoint. Au bout du 5ème appel, on s'est deman­dé s’il fal­lait vrai­ment se dépla­cer à chaque fois ? On ne com­pre­nait pas pour­quoi elle res­tait. » « C’est bien parce qu’elles sont dans ce cycle de vio­lence infer­nal qu’elles ne par­viennent pas à por­ter plainte, répond Véronique, elle-​même vic­time de vio­lences conju­gales il y a une dizaine d'années. Ces femmes savent au fond d'elles qu’elles sont vic­times mais sont encore dans le déni. » La vice-​procureure Nathalie Kielwasser prend à son tour la parole, sa réponse est for­melle. « Oui, il faut sys­té­ma­ti­que­ment se dépla­cer et lever le doute. »

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La vice-​procureure Nathalie Kielwasser prend le relai sur le trai­te­ment judi­ciaires des vio­lences conju­gales. Colmar 15 juin 2021. ©A.T.

L'un des poli­ciers réagit. « On n'est pas stu­pide, c'est pas parce qu'une femme a ouvert la porte à son ex qu'on sait qu'il n'est pas violent. On a l'habitude, on a quand même vingt ans de métier. » La majo­ri­té de ses col­lègues acquiesçent. 

Il faut dire que 70 % des inter­ven­tions de nuit à Colmar concernent les vio­lences conju­gales. « Vous êtes les pre­miers à bous­cu­ler le méca­nisme de ces vio­lences », adresse d'ailleurs la vice-​procureure Nathalie Kielwasser aux policier·ères. Elle insiste notam­ment sur l’importance de l’écoute et de la pro­tec­tion, « essen­tielles pour évi­ter un retrait de plainte ». « Il est impor­tant de com­prendre les rai­sons qui les amène à reti­rer leur plainte : la honte, la culpa­bi­li­té, l’emprise, le stress et la peur de ne pas être crues, assure Nathalie Kielwasser. Votre rôle, c'est de les ras­su­rer, les décul­pa­bi­li­ser et faire preuve de péda­go­gie tout en repé­rant ces méca­nismes. Même si elles retirent leur plainte dix fois, vous devez prendre le onzième dépôt, qui sera peut-​être le bon. »

« On ne pour­ra jamais en effet empê­cher tous les fémi­ni­cides mais on y travaille. »

Nathalie Kielwasser, vice-​procureure de Colmar. 

La vice-​procureure insiste aus­si sur le com­men­ce­ment de la preuve. « Lorsque vous arri­vez sur les lieux de l'intervention, il faut décrire le moindre détail, tout ce que vous avez vu, enten­du, ne pas hési­ter à prendre vous-​même des cli­chés des traces de coup et du désordre, déclare Nathalie Kielwasser. Je vous rap­pelle qu'on peut faire une enquête sans for­cé­ment entendre la vic­time. » La pro­cu­reure s'attarde ensuite sur le trai­te­ment des plaintes. « À Colmar, on a pris de bons réflexes mais il faut conti­nuer à assu­rer un bon recueil de la parole en se ser­vant notam­ment du ques­tion­naire d’évaluation du dan­ger1 qui per­met ensuite d’orienter et de pro­té­ger effi­ca­ce­ment la vic­time. » Devant nous, un poli­cier souffle à son col­lègue : « Ça per­met d'être vigi­lant. » Nathalie Kielwasser rap­pelle aus­si l'importance du sui­vi des vic­times. « Vous ne la lais­sez pas repar­tir dans la nature. Vous la met­tez sys­té­ma­ti­que­ment en rela­tion avec l'association d'aide aux vic­times, Espoir. »

La for­ma­tion est effec­ti­ve­ment l’occasion d’évoquer le déploie­ment et le ren­for­ce­ment des outils de pro­tec­tion mis à la dis­po­si­tion de la jus­tice. « Dès lors qu’une femme porte plainte, il faut lui don­ner un télé­phone grave dan­ger, rap­pelle Nathalie Kielwasser. En ce qui concerne le bra­ce­let anti-​rapprochement, on vient de com­men­cer leur déploie­ment. » Un poli­cier inter­vient. « Je veux bien, mais on pour­ra mettre tous les dis­po­si­tifs que l’on veut autour d’une vic­time, cer­tains auteurs les retrou­ve­ront tou­jours, on se sent impuis­sant. » « On ne pour­ra jamais en effet empê­cher tous les fémi­ni­cides mais on y tra­vaille, lui répond la com­mis­saire de Colmar. On a actuel­le­ment 142 dos­siers de vio­lences conju­gales au com­mis­sa­riat, notre objec­tif est de les résor­ber cet été, en fai­sant pas­ser en prio­ri­té les femmes en danger. » 

Il est 22 heures lorsque la for­ma­tion prend fin. Les tal­kies wal­kies des fonc­tion­naires com­mencent déjà à cré­pi­ter. Les policier·ères de la patrouille quittent la salle de repos, prêt·es à prendre leur poste pour une nuit qui s'annonce comme tou­jours, agitée. 

  1. Mise en place en 2019, cette grille de vingt trois ques­tions tente d'évaluer la stra­té­gie de contrôle et le dan­ger que l'auteur met en oeuvre sur sa vic­time.[]
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