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©Besse pour Causette

Rentrée sco­laire : y aura-​t-​il un·e prof dans la classe ?

Manque de candidat·es aux concours, démissions en hausse : l’Éducation nationale ne parvient plus à recruter suffisamment d’enseignant·es. Entre système D et grogne montante, parents et profs se préparent donc à vivre une année des plus chaotiques.

« Parents en colère ! Non au job dating pour recruter des profs ! » La banderole est restée accrochée tout l’été sur la grille de cette école élémentaire parisienne. Ici comme à Marseille, Créteil ou Toulouse, on s’inquiète depuis des semaines, parfois des mois, face à l’année qui s’annonce : y aura-t-il suffisamment de profs pour faire classe aux élèves ? Et surtout, de profs formé·es ? La question se pose, au vu des derniers concours enseignant·es, qui sont loin d’avoir rempli leurs objectifs. Début juillet, quand sont tombés les résultats finaux, près de quatre mille postes étaient toujours vacants. À quelques semaines de la rentrée, seuls 83,1 % des postes du premier degré étaient pourvus (alors qu’ils l’étaient à 94,7 % en 2021). Tandis que dans les collèges et lycées, le taux de couverture national plafonnait, lui, à 83,4 % (contre 94,1 % l’année précédente), avec de fortes disparités selon les matières.

Si le compte est bon pour l’histoire-géographie, l’espagnol, les SVT ou l’EPS, ce n’est pas le cas pour les lettres classiques ou l’allemand. Des matières déficitaires depuis plusieurs années, auxquelles s’ajoutent, désormais, de nouvelles disciplines en tension. « C’est le cas de la physique-chimie où 66,7 % des postes sont pourvus contre 80 à 100 % durant les trois années précédentes ; c’est le cas des mathématiques où 68,5 % des postes sont pourvus contre 84 à 92 % durant les trois années précédentes ; c’est le cas des lettres modernes où 83,5 % des postes sont pourvus contre 98 à 100 % les trois années précédentes », égrène le ministère de l’Éducation nationale. Du jamais-vu.

« Même des disciplines comme les sciences économiques et sociales, qui faisaient habituellement le plein, perdent aujourd’hui des postes. Peu de matières sont épargnées. La situation est critique », alerte Sophie Vénétitay, secrétaire générale adjointe du Snes-FSU, syndicat enseignant majoritaire dans le second degré. « Nous n’avions jamais connu ça. On sait que certaines académies, notamment en Île- de-France, sont traditionnellement déficitaires. Mais d’autres, comme Grenoble, se retrouvent à leur tour en manque de candidats. Et ça va forcément se ressentir dans les établissements, car on n’aura pas suffisamment d’enseignants par rapport au nombre de classes », abonde Guislaine David, secrétaire générale du Snuipp-FSU, premier syndicat du premier degré.

À la pêche aux profs

Pour colmater les brèches, les académies tentent donc de recruter, en urgence, des enseignant·es contractuel·les. Parfois par le biais de petites annonces, comme on en trouve aujourd’hui à Pôle Emploi. Souvent en misant sur le job dating, comme en ont organisé les rectorats d’Amiens, de Paris, d’Aix-Marseille... Ou celui de Versailles, qui a réalisé, dès la fin mai, quatre journées de recrutement pour dégoter au pied levé 1300 aspirant·es enseignant·es (et 700 accompagnant·es d’élèves handicapé·es, infirmier·ères, médecins ou psychologues scolaires). Ouvert à toute personne titulaire d’un bac+3 (peu importe la branche), ce très médiatisé job dating a vu affluer des étudiant·es, des professionnel·les du social, de l’enfance, mais aussi des cadres ou des entrepreneur·euses en reconversion.

Autant de profils hétéroclites qui, après un entretien de trente minutes, puis une semaine de formation, se retrouveront à la rentrée devant les élèves. Pas de quoi rassurer les enseignant·es. « Comment on peut se former en une semaine ? Enseigner, c’est un métier, et ça s’apprend. D’ailleurs, on le voit bien sur le terrain : beaucoup de contractuels démissionnent avant la fin de l’année parce qu’ils sont en burn-out ou qu’ils craquent, quelques-uns tiennent trois semaines et puis s’en vont. Et puis dans certaines écoles, il y a des contractuels, mais aussi des étudiants, des stagiaires... et les équipes explosent car elles ne peuvent pas assurer tout ce travail d’encadrement et d’accompagnement », s’inquiète Sophie Vénétitay, du Snes-FSU.

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Du côté des proviseur·es, on tente de composer, tant bien que mal, avec la situation. « On est un peu inquiets. La rentrée pourrait se passer, mais dès que l’hiver et les premières maladies vont arriver, on va se retrouver en difficulté, ça semble évident », anticipe Gwenael Surel, proviseur de lycée à Nantes et secrétaire général adjoint du SNPDENUnsa. Dans ce contexte, la gestion des ressources humaines est devenue un casse-tête pour les chef·fes d’établissement. « Certains font passer des annonces sur Le Bon Coin ou dans leurs réseaux pour espérer trouver quelqu’un. Nous ne sommes pas en accord avec ça ou avec ce job dating qui a tant fait parler de lui. N’en demeure pas moins qu’à un moment il faut bien trouver quelque chose pour recruter », résume-t-il.

Ces dernières années, en effet, tous les moyens semblent bons pour attirer le chaland. Comme cette campagne du ministère de l’Éducation nationale, réalisée avec le site Konbini, en 2020, pour convaincre les jeunes de devenir prof, un boulot « qui paye mieux qu’un job dans un fast-food ». Ou cette pub diffusée l’hiver dernier par l’académie de Poitiers sur des sachets de baguettes de pain : « Devenez enseignant ! » Des coups de com qui ne suffisent pas, ou plus, à redorer le blason d’une profession en crise.

Derrière le manque de postulant·es, c’est bien de la désaffection profonde du métier d’enseignant·e dont il est question. Certes, la réforme du concours mise en place cette année a engendré « une baisse prévisible » – de l’aveu même du ministère – du vivier de candidat·es. Jusque-là ouvertes aux étudiant·es de Master 1, ces épreuves sont désormais réservées à celles et ceux qui sont en Master 2. Or ces dernier·ères avaient déjà passé le concours l’an dernier (lorsqu’ils·elles étaient en Master 1), ce qui explique en partie la baisse du nombre de postulant·es pour cette année.

Mon école va craquer

Mais la crise actuelle, d’une ampleur inégalée, couve depuis un moment. « La situation intenable dans laquelle on se trouve aujourd’hui est liée à l’accumulation de plusieurs années où il a manqué de candidats aux concours. Le déclassement salarial pèse très lourd sur l’attractivité du métier : dans les années 1980, un enseignant commençait avec 2,2 Smic ; aujourd’hui, il commence avec 1,1 Smic », insiste Sophie Vénétitay. Selon un rapport sénatorial paru cet hiver, le pouvoir d’achat des enseignant·es s’est effondré : 15 % à 25 % en moins au cours des vingt dernières années. Mal rémunéré, déconsidéré, le métier attire d’autant moins qu’il permet peu de mobilité géographique – difficile, voire impossible d’être muté lorsqu’on a passé son concours dans une académie en tension, typiquement. Et qu’il offre aussi de moins en moins de flexibilité dans les carrières. « Dans plusieurs départements, l’heure est au refus systématique des temps partiels et des disponibilités qui ne sont pas de droit. Cette situation n’est pas nouvelle, mais elle s’accentue encore cette année », dénonce Sud Éducation.

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©Besse

Car en plus du manque de candidat·es, l’Éducation nationale fait face à un autre problème : la fuite de ses enseignant·es déjà en poste. Qui sont de plus en plus nombreux·euses à quitter le navire. Alors qu’on en comptait 638 sur l’année 2009-2010, les départs volontaires s’élevaient à 1554 en 2019-2020 et à 2286 en 2020-2021. Après huit ans de maison, Maylis, professeure des écoles, fait partie de celles qui ne reprendront pas à la rentrée : elle a saisi l’opportunité qui s’est offerte à elle dans le secteur privé. « Je savais qu’à moyen terme je voulais arrêter, parce que les conditions de travail ne vont pas en s’améliorant, et ça me pèse beaucoup. On manque de tout. De profs, déjà, mais aussi d’orthophonistes, de médecins scolaires, d’assistantes sociales, d’AESH [accompagnant·e des élèves en situation de handicap, ndlr]... Tout ça tient sur la bonne volonté des enseignants, qui se décarcassent et acceptent des situations qui relèvent parfois de la maltraitance, vis-à-vis de nous et vis-à-vis des enfants », estime-t-elle.

En poste dans une école élémentaire REP+ (réseau d’éducation prioritaire renforcée) à Paris, elle constate chaque jour les effets de cette pénurie d’enseignant·es. « Quand un collègue est malade, on sait très bien qu’il ne sera jamais remplacé. Cet hiver, par exemple, j’ai été arrêtée deux mois pour raisons de santé. Après deux semaines et demie sans remplaçant, quelqu’un est venu une semaine, puis une autre personne une semaine et encore une autre pendant deux ou trois semaines. Ça ne s’est pas bien passé et les enfants ont perdu pas mal de temps », illustre-t-elle. D’ailleurs, elle ne croit pas une seconde que tous les élèves puissent avoir un·e enseignant·e face à elles et eux en septembre. « Ça n’a jamais été le cas ! » ironise-t-elle.

Les parents se rebiffent

Pourtant, Pap Ndiaye, le nouveau ministre de l’Éducation nationale, l’a assuré dans la seule interview accordée à la presse (au Parisien) : cette rentrée, il y aura bien un·e professeur·e devant chaque classe. Comment ? Difficile de le savoir, le ministre n’ayant pas donné davantage de précisions et le ministère ayant refusé de répondre à nos questions. À la mi-juillet, nombre d’établissements se posaient, eux aussi, la question. Comme cette école maternelle parisienne, qui attendait encore de savoir qui remplacerait les deux enseignantes parties à la fin de l’année – l’une à la retraite, l’autre en congé maternité. Et se retrouve, à quelques semaines de la rentrée, dans l’impossibilité de finaliser les classes et l’organisation de l’école. « Pour avoir des enseignants face à chaque classe, on va prendre sur les viviers des remplaçants, ceux qui sont là pour remplacer les enseignants en formation continue, les congés maladie ou maternité... Et rapidement, on va se rendre compte qu’on ne pourra pas remplacer les congés maladie », réagit Guislaine David, du Snuipp-FSU.

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C’est précisément ce qu’il s’est passé l’an dernier. « Entre les absences qu’on a habituellement, les Covid qui se sont rajoutés, les Covid longs, les dépressions... C’était l’explosion. Il a fallu remplacer du titulaire, puis du contractuel, et après ça, on n’avait plus de ressources », reconnaît une inspectrice, qui préfère témoigner anonymement. Une situation telle que, dans le Val-de-Marne, huit collectifs locaux de parents d’élèves ont décidé de se fédérer pour exiger des solutions du rectorat. « On s’est rendu compte qu’en bataillant pour qu’un enseignant soit remplacé dans notre école, ça revenait à déshabiller Paul pour habiller Jacques, puisque le rectorat “pique” un remplaçant quelque part pour le mettre ailleurs. Mais au bout du compte, des enfants ne peuvent toujours pas être accueillis. Rien que sur les écoles maternelles et élémentaires de Villejuif, on a compté 1300 jours perdus, non remplacés l’an dernier. Ça ne peut pas durer », défend Amandine, l’une des porte-parole des Parents du 94. Après avoir organisé soixante-treize occupations

d’écoles depuis le printemps, le collectif a intenté au début de l’été une action collective en justice contre l’État baptisée #OnVeutDesProfs. En quelques jours, plus de mille dossiers de parents mécontents sont arrivés des quatre coins de la France. Avec un objectif clair mais ambitieux : obtenir le recrutement d’enseignant·es formé·es qui puissent travailler dans de bonnes conditions et, à défaut, contraindre l’État à verser une indemnisation en cas d’absence non remplacée. Loin, bien loin, de ce qu’il se passe aujourd’hui dans les écoles.

Solutions bricolées en interne

« J’ai en tête des classes qui n’ont pas eu cours d’espagnol pendant plusieurs mois l’an dernier. Parfois, les établissements bricolent donc des solutions en interne, en essayant par exemple d’organiser des journées de remise à niveau pour les élèves, au début des vacances, pour essayer de rattraper le retard dans telle ou telle discipline. C’est bien simple : l’Éducation nationale est devenue la plus grande enseigne de bricolage du pays », résume Sophie Vénétitay. Et ce n’est vraisemblablement pas cette année que ça va changer.

Dans l’espoir d’attirer de nouvelles recrues, Pap Ndiaye a annoncé une revalorisation salariale pour les jeunes enseignant·es, mais pas avant 2023. En attendant, il a aussi proposé qu’un·e enseignant·e puisse prendre les heures d’un·e collègue absent·e, qui rattraperait à son tour ces mêmes heures à son retour – mais encore faut-il que les emplois du temps et les effectifs le permettent. De son côté, l’académie de Metz-Nancy a pris les devants et inaugurera à la rentrée la première « brigade de remplacement numérique » : un dispositif expérimental permettant à sept enseignant·es titulaires d’assurer des remplacements en visio. Des rustines qui permettront peut-être de sauver les meubles, mais certainement pas de stopper l’hémorragie.

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