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© les grévistes

Aide à la per­sonne : des salarié·es d’Onela, en grève depuis plus de deux mois, crient leur détresse

Depuis février, une grève tenace secoue l’entreprise d’aide à la per­sonne Onela : une dizaine de salarié·es exigent notam­ment des aug­men­ta­tions de salaire, le paie­ment de leur prime Covid, ain­si qu’une amé­lio­ra­tion de leurs condi­tions de travail. 

Le 1er février, douze membres, sur une équipe de qua­torze employé·es, du ser­vice d’astreinte du centre d’appel de l’entreprise, situé dans le 11e arron­dis­se­ment de Paris, se sont mis·es en grève recon­duc­tible sans ins­truc­tion syn­di­cale. Six d’entre eux·elles ont repris leur emploi à ce jour. Ces salarié·es qui sont, pour la plu­part, des étudiant·es étranger·ères, tra­vaillent les soirs, les week-​ends et les jours fériés. Ils·elles jonglent entre plu­sieurs cen­taines d’appels télé­pho­niques avec les per­sonnes âgées et han­di­ca­pées, ain­si qu’avec les auxi­liaires de vie afin que ces dernier·ères réa­lisent des rem­pla­ce­ments de der­nière minute. Certain·es employé·es dénoncent la péni­bi­li­té de leurs condi­tions de tra­vail, l’insuffisance de leurs salaires ain­si que le mépris de leur direc­tion. Le 12 avril, gré­vistes, militant·es et simples sou­tiens, se sont rejoint·es dans le sous-​sol de la Bourse du tra­vail de Paris pour échan­ger sur l’évolution du conflit, qui dure depuis près de quatre-​vingts jours. Une endu­rance impres­sion­nante qui rap­pelle celle des femmes de chambre de l’Ibis Batignolles en 2021. 

Ils·ellesréclament notam­ment une aug­men­ta­tion auto­ma­tique annuelle d’ancienneté de 15 %, une majo­ra­tion selon le niveau de diplôme mais aus­si pour les week-​ends et les jours fériés tra­vaillés, 10 euros de Tickets res­tau­rant et/​ou de paniers-​repas, ain­si que la prise en charge à 100 % de la mutuelle et des titres de transport.

“Une offre minable”

En effet, Onela, qui emploie près de trois mille per­sonnes, affiche le slo­gan être bien chez soi”, mais ne semble pas vou­loir, d'après les concerné·es, que ses employé·es soient “bien au tra­vail”. “Je pen­sais faire grève une ou deux semaines pas plus”, avoue Bridgette, 27 ans, étu­diante en mar­ke­ting digi­tal et sala­riée chez Onela depuis quatre ans. “Nous n’avons, pour l’heure, pas eu gain de cause avec nos actions. Mais on sait pas vrai­ment com­ment faire, c’est notre pre­mière grève”, explique-​t-​elle, sou­hai­tant comme ses col­lègues, inten­si­fier le conflit pour arri­ver à leurs fins. Lors de la réunion de ven­dre­di der­nier, ils·elles se sont adressé·es aux per­sonnes pré­sentes, en appe­lant à leur expé­rience de lutte, notam­ment afin de lever des fonds. Mais, après neuf piquets de grève et dix ren­contres avec la direc­tion, cette der­nière ne pro­po­se­rait, selon les gré­vistes, que 13 cen­times d’augmentation brute par heure : “Une offre minable”, selon Bovl*, coor­di­na­teur d’astreinte et sala­rié d’Onela depuis cinq ans.

De son côté, la direc­tion de l’entreprise a décla­ré à Causette que les pro­po­si­tions faites lors des réunions “sont bien plus larges que le résu­mé de 13 cen­times d’augmentation par heure sou­vent avan­cé par les der­niers gré­vistes”, mais que “leur détail est confi­den­tiel”.

“Depuis le début de la grève, ils ont licen­cié un col­lègue en pré­ten­dant qu’il n’avait pas de papier. C’était son qua­trième contrat, donc ils ne pou­vaient l’ignorer. Ils paient aus­si des gens, un huis­sier, notam­ment, pour nous sur­veiller et un média­teur, mais ils ne veulent pas nous payer. Ils font des menaces voi­lées”, déplore Bridgette. L’étudiante en mar­ke­ting dénonce aus­si auprès de Causette “la sur­veillance répé­tée de [leurs] réseaux sociaux par la direc­tion, l’interdiction de mener la grève sur le lieu de tra­vail et la res­tric­tion de l’accès à [leurs] outils pro­fes­sion­nels, ce qui consti­tue une atteinte à [leurs] droits en tant que tra­vailleurs”.

Dans ce cli­mat déjà ten­du, le direc­teur géné­ral d’Onela, Laurent Ostrowsky, aurait lu, au cours d’une réunion, la défi­ni­tion du mot “esclave” aux gré­vistes qui uti­lisent le slo­gan “Salariés pas esclaves” dans leur com­bat. Interrogé par StreetPress, il a confir­mé avoir tenu ces pro­pos et s’est jus­ti­fié en ces termes : “La res­pon­sable de ce ser­vice, c’est com­pli­qué de la qua­li­fier d’esclavagiste ou de raciste, je ne vous fais pas de des­sin… La numé­ro deux du ser­vice, pareil, elle ne vient pas de Corrèze.” À ce pro­pos, la direc­tion a décla­ré à Causette : “Nous ne sou­hai­tons pas répondre aux pro­vo­ca­tions ou fausses polé­miques qui sont contraires à une volon­té de dia­logue res­pec­tueux. Il n’y a aucun fait pou­vant être qua­li­fié de racisme, anti­no­mique aux valeurs et la diver­si­té des sala­riés d’Onela.” 

Trois pour le prix d’un 

Onela, qui dépend du groupe Colisée, qua­trième ges­tion­naire de mai­sons de retraite et d’Ehpad en France, pos­sède soixante-​cinq agences sur le ter­ri­toire, dont la coor­di­na­tion les soirs, les week-​ends et les jours fériés est gérée par cette unique équipe res­treinte fran­ci­lienne. En 2023, les employé·es ont décou­vert qu’ils·elles tra­vaillaient pour deux autres entre­prises du groupe – Nouvel Horizon Services et Nouvelle Horizon Services Paca – dans le flou le plus total. “On nous a pré­sen­té Onela comme une fusion d’entreprise. Au début, per­sonne ne savait qu’on tra­vaillait pour trois entre­prises. Le Comité social et éco­no­mique [CSE] nous a pré­ve­nus par mail. Il s’agit d’un abus de confiance et de tra­vail dis­si­mu­lé”, accuse Bovl.

“Nous consta­tons que cela repré­sente une charge de tra­vail sup­plé­men­taire monu­men­tale pour nous. Les agences affi­liées à ces socié­tés ren­contrent sou­vent de nom­breuses pro­blé­ma­tiques, notam­ment des dif­fi­cul­tés à trou­ver des rem­pla­çants, des pres­ta­tions com­plexes, lourdes, longues ou encore en horaire déca­lé”, nous explique Bridgette. 

Lire aus­si l Aides à domi­cile : « Parce que leur tra­vail mobi­li­se­rait des com­pé­tences fémi­nines et natu­relles, on ne leur octroie pas de salaire correct »

“Après avoir offi­ciel­le­ment expri­mé notre refus de conti­nuer à effec­tuer des tâches qui ne cor­res­pon­daient pas à nos contrats, en juin nous avons reçu en réponse un ave­nant de contrat tri­par­tite, accom­pa­gné de menaces pour nous contraindre à le signer. Face à ce refus, l’entité Onela Services a été créée dans le but de nous obli­ger léga­le­ment à tra­vailler pour ces trois socié­tés, que nous ayons signé ou non, puisque tous nos contrats ont été trans­fé­rés à cette enti­té”, assure-​t-​elle auprès de Causette.

La direc­tion a assu­ré à Causette qu’il serait “inexact” d’affirmer que les salarié·es n’avaient pas été mis·es au cou­rant de l’existence des deux autres “enti­tés juri­diques bien connues de tous”. Et d’ajouter : “Des conven­tions de pres­ta­tions entre ces socié­tés per­met­taient à un sala­rié des ser­vices sup­port d’accomplir ses mis­sions pour les trois entités.”

“Je tra­vaille de 7 heures à 22 heures”

Alors que l’Insee pré­voit une nou­velle année d’inflation, avec une hausse glo­bale des prix à la consom­ma­tion de 2,3 % en 2024, les gré­vistes d’Onela exigent une rému­né­ra­tion mini­male de 17 euros net de l’heure pour l’équipe et de 21 euros net de l’heure pour la res­pon­sable adjointe. 

Bovl revient sur son par­cours au sein d’Onela : “Ce service-​là est majo­ri­tai­re­ment confié à des étu­diants étran­gers, soit la bonne classe à exploi­ter : nous avons besoin d’argent et nous n’avons, sou­vent, pas le choix. Par exemple, quand j’ai fini mes études, si je n’avais pas de renou­vel­le­ment de situa­tion, j’étais expul­sé, donc on m’a pro­po­sé la res­pon­sa­bi­li­té de mana­ger, car l’ancienne mana­geuse était par­tie à cause d’un burn-​out. Ils vou­laient encore me payer comme coor­di­na­teur alors que j’étais res­pon­sable de coor­di­na­tion. Je tra­vaille de 7 heures à 22 heures. C’est de l’exploitation qui ne dit pas son nom. Les métiers de l’humain sont pires que l’esclavage.”

Un cas qui n’est pas iso­lé. Marisa, res­pon­sable adjointe, employée depuis douze ans à Onela et depuis huit ans dans le ser­vice d’astreinte, raconte : “Au début, Onela, c’était un com­plé­ment de reve­nus. J’étais sur le ter­rain [en tant qu’auxilliaire de vie, ndlr] et j’ai com­men­cé au bas de l’échelle. Ensuite, j’ai tra­vaillé en même temps en astreinte, puis juste en astreinte. J’ai vite dimi­nué, car le rythme était infer­nal.” La prime Covid n’a, à ce jour, jamais été ver­sée alors que les employé·es tra­vaillaient jusqu’à plus de qua­torze heures par jour pen­dant la pan­dé­mie. “Si la prime Covid n’a effec­ti­ve­ment pas été ver­sée en son temps aux deux sala­riés pré­sents à l’époque, dès les pre­mières dis­cus­sions, la direc­tion actuelle a pro­po­sé de la régler au sein d’un pro­to­cole de sor­tie de conflit”, défend la direction. 

Lire aus­si l Pénibilité au tra­vail : Ces femmes qui prennent cher dans leur chair

Ces cadences folles, et payées avec des miettes, sont réa­li­sées, d’après les salarié·es, dans des locaux infes­tés par les rats et si peu entre­te­nus qu’il devient dan­ge­reux de les occu­per. Bridgette explique : “Nous tra­vaillons au milieu de fils élec­triques dénu­dés qui passent entre nos jambes et pour­raient nous tuer. Les toi­lettes ne marchent pas depuis des années même s’ils disent le contraire.” Ce que dément la direc­tion auprès de Causette : “Nous pou­vons vous assu­rer que l’ensemble de nos col­la­bo­ra­teurs tra­vaillent dans des condi­tions res­pec­tueuses des obli­ga­tions légales de san­té et de sécu­ri­té avec le maté­riel adap­té.

Les reven­di­ca­tions por­tées par les gré­vistes d’Onela résonnent cer­tai­ne­ment auprès de tous et toutes les employé·es du sec­teur du care, qui sont en majo­ri­té des femmes raci­sées issues des franges les plus mar­gi­na­li­sées de la socié­té. Alors que l’épidémie de Covid-​19 avait révé­lé l’importance des métiers dits “essen­tiels”, ils sont très vite retom­bés dans l’invisibilité. “Notre souf­france est ins­ti­tu­tion­nelle, elle n’est pas seule­ment due à la mau­vaise volon­té des patrons”, résume Bovl.

* Le pré­nom a été modifié.

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