dsc4620 a
Le 7 septembre dans les rues de Kaboul, des femmes ont répondu à l'appel de soulèvement national. Elle viennent d'être chassées devant l'ambassade du Pakistan, qui tentent de les intimider avec des tirs en l'aire. Sur la photo cette femme tient un écriteau disant de ne pas tuer les innocents du Panshir. ©Adrien Vautier / Le Pictorium pour Causette

Reportage en Afghanistan auprès des acti­vistes fémi­nistes qui osent défier les fondamentalistes

Le retour au pou­voir des tali­bans, le 15 août der­nier, après vingt ans de guerre, est une catas­trophe pour les femmes qui refusent de vivre sous ce nou­veau régime miso­gyne. Malgré les risques, des acti­vistes fémi­nistes, par­fois à peine majeures, osent défier les fon­da­men­ta­listes dans la rue alors que leurs droits se réduisent chaque jour un peu plus.

Kaboul n’est plus vrai­ment Kaboul. Les nuées d’écolières qui défer­laient dans les rues de la capi­tale à la sor­tie des cours, blo­quant par­fois la cir­cu­la­tion tant elles étaient nom­breuses, se sont vola­ti­li­sées. Les écoles secon­daires ont rou­vert mi-​septembre. Mais seuls les gar­çons y sont auto­ri­sés, les tali­bans ayant avan­cé avoir besoin de temps pour créer un « envi­ron­ne­ment sûr » pro­pice à l’éducation des filles. À l’exception d’une poi­gnée d’établissements dans le nord du pays qui ont récem­ment rou­vert leurs portes à l’ensemble de leurs élèves, à l’heure où nous écri­vons ces lignes, des mil­lions de jeunes Afghanes sont tou­jours pri­vées d’une édu­ca­tion secondaire. 

À la pis­cine Amu, dans l’ouest de la ville, l’espace réser­vé aux femmes est vide. Si l’« émi­rat isla­mique » n’a pas encore for­mel­le­ment inter­dit le sport aux Afghanes, elles sont nom­breuses à ne plus oser en pra­ti­quer depuis qu’un haut res­pon­sable a décla­ré que le sport n’est « ni néces­saire ni appro­prié » pour les femmes. « Avant, une qua­ran­taine de nageuses venaient ici chaque jour. Aujourd’hui, à peine une en moyenne », se désole le res­pon­sable de cet éta­blis­se­ment, alors que des dizaines d’hommes font des lon­gueurs ou bar­botent dans les jacuz­zis. « J’ai le sen­ti­ment qu’on est reve­nus vingt ans en arrière, avant 2001, quand les femmes n’avaient pas voix au cha­pitre dans la socié­té », se désole Khatera, qui a été atta­quante au sein de l’équipe natio­nale fémi­nine de foot­ball de 2007 à 2013 et qui vit aujourd’hui à Kaboul. 

L’ancienne spor­tive de haut niveau sort son télé­phone pour nous mon­trer des vidéos datant du 8 juillet. On y voit une ving­taine d’hommes et de jeunes femmes, cer­taines les che­veux atta­chés en queue de che­val, ­s’affrontant sur un ter­rain de mini­foot. La numé­ro 15 s’élance et fait la passe à une coéqui­pière qui marque un but sous les applau­dis­se­ments et les cris du reste de l’équipe. Un autre monde. Cinq semaines plus tard, les tali­bans entraient dans Kaboul, for­çant Khatera à cacher ses tro­phées et ses maillots de football. 

Intimidations répé­tées

L’occupation amé­ri­caine et ses ­vio­lences quo­ti­diennes ont été une tra­gé­die pour une par­tie de la popu­la­tion. Mais le départ pré­ci­pi­té des Occidentaux, fin août, a réduit à néant vingt ans de ­pro­grès et de droits ­dure­ment acquis par et pour les femmes. « La com­mu­nau­té inter­na­tio­nale nous a don­né des ailes, puis nous les a cou­pées ! Ils ont détruit les rêves qu’ils nous ont pous­sées à avoir », s’indigne celle qui avait éga­le­ment fon­dé, en 2012, l’équipe de ­foot­ball fémi­nine de l’université amé­ri­caine d’Afghanistan, fer­mée depuis l’arrivée des fon­da­men­ta­listes, le 15 août. 

Afghanistan AVautier 4 A
À Kaboul, capi­tale de l'Afghanistan, des gérants de salons de beau­té ont recou­vert de pein­ture les grandes pho­tos de visages de femmes sur leurs devan­tures. ©Adrien Vautier /​Le Pictorium pour Causette

Aujourd’hui, beau­coup de spor­tives afghanes ont fui le pays et celles qui sont res­tées se sentent en dan­ger. Khatera elle-​même a reçu des menaces de mort à plu­sieurs reprises ces der­nières années de la part des tali­bans qui contrô­laient déjà une par­tie du pays. « Ils ont tou­jours visé les spor­tives, rap­pelle Khatera. Ils nous envoyaient des menaces, ils nous kid­nap­paient et par­fois ils essayaient même de nous tuer. Alors, com­ment pourrions-​nous espé­rer qu’ils vont nous lais­ser faire du sport sous leur nou­veau régime ? »

« La com­mu­nau­té inter­na­tio­nale nous a don­né des ailes, puis nous les a cou­pées ! Ils ont détruit les rêves qu'ils nous ont pous­sées à avoir »

Khatera, ancienne atta­quante de l'équipe natio­nale fémi­nine de football. 

Sur le bou­le­vard de l’aéroport, six salons de beau­té ont été repeints en blanc pour effa­cer les pho­tos de man­ne­quins qui ornaient les devan­tures. La fine couche de pein­ture laisse encore entre­voir sou­rires pul­peux et sour­cils parfai­tement épi­lés. Les pos­ters d’hommes aux abdo­mi­naux hui­lés accro­chés à l’entrée d’une salle de sport adja­cente sont, eux, tou­jours intacts. 

« Nous n’avons plus aucune cliente », se désole Zahrah, 17 ans, employée dans l’un de ces salons. C’est elle-​même qui, contrainte par un com­bat­tant tali­ban, a dû mon­ter sur une échelle pour lacé­rer avec un cou­teau de cui­sine une ban­nière qui mon­trait des visages de femmes. « Je ne peux déjà plus aller au lycée. Donc si ce salon ferme, je n’aurai plus rien. Je serai obli­gée de res­ter chez moi à rien faire », murmure-​t-​elle, vêtue d’une robe rose cachée sous une abaya noire. 

Études en sursis

Farida rêvait de tra­vailler dans un hôpi­tal, alors elle est deve­nue infir­mière, avant de reprendre des études d’économie en 2019 dans une uni­ver­si­té pri­vée de Kaboul. Aujourd’hui, Farida ne rêve plus. L’espoir sur­vit – pour l’instant –, mais l’avenir qu’elle s’était ima­gi­né hier semble chaque jour un peu plus hors d’atteinte. « Des tali­bans sont venus nous voir en classe et ont décla­ré qu’il n’était pas néces­saire pour des femmes d’étudier l’économie, le droit ou l’ingénierie. J’ai sen­ti mon sang bouillir », raconte la jeune femme de 26 ans, qui ne peut répri­mer un sou­rire triste. Si aucune inter­dic­tion for­melle n’a été pro­noncée pour le moment, les inti­mi­da­tions répé­tées lui font craindre le pire. 

Contrainte, l’administration de son uni­ver­si­té avait déjà dû ins­tal­ler un grand rideau noir en classe pour sépa­rer les sexes. Insuffisant, ont esti­mé les tali­bans, qui ont impo­sé une sépa­ra­tion totale entre hommes et femmes avec des horaires de cours dif­fé­rents. Elles n’étaient déjà que quatre femmes dans sa classe contre vingt hommes, avant la prise de Kaboul. L’une d’elle n’ose plus venir depuis. Mais que se passera-​t-​il lorsqu’elles seront trop peu nom­breuses pour que l’université conti­nue à leur don­ner cours, se demande Farida, age­nouillée dans le salon du petit appar­te­ment de deux chambres dans lequel sa famille s’est réfu­giée après la chute de Kaboul aux mains des fondamentalistes. 

Afghanistan AVautier 1 A
©Adrien Vautier /​Le Pictorium pour Causette

Elle y vit avec sa grande sœur, Alema, âgée de 43 ans, et son beau-​frère. Sa nièce, Razia, qui a qua­si­ment le même âge qu’elle et dont elle est très proche, a dû fuir le pays fin sep­tembre. Avoir tra­vaillé au palais pré­si­den­tiel fai­sait d’elle une cible. Les vagues de départs d’activistes et fémi­nistes afghanes depuis le retour au pou­voir des tali­bans isolent encore un peu plus celles qui, comme Farida, ont fait le choix de res­ter et de se battre pour leurs droits. Son enga­ge­ment à elle est né dès les pre­mières heures de l’avènement du nou­veau régime, à un moment où elle igno­rait encore s’il était pos­sible de mani­fes­ter dans la rue sans y perdre la vie. 

Rassemblement his­to­rique

Dès le 17 août, à 8 heures du matin, Farida, sa nièce Razia, alors encore à Kaboul, et leur amie Taïba ont réagi. Leur déci­sion était prise. Elles n’allaient pas se lais­ser faire. Ce jour-​là, elles ont embras­sé leurs proches « comme si c’était la der­nière fois » et sau­té dans un taxi. En route, elles ont conve­nu qu’il leur fau­drait s’arrêter pour ache­ter des pan­cartes et des feutres. Leur chauf­feur, sus­pi­cieux de voir trois jeunes femmes s’aventurer seules dans Kaboul au len­de­main de la chute de la République, leur a deman­dé ce qu’elles allaient faire. « Montrer aux tali­bans que les femmes font par­tie de cette socié­té », ont-​elles répon­du en chœur. La voi­ture a alors pilé net. Le retour au pou­voir du mou­ve­ment isla­miste, quarante-​huit heures plus tôt, avait déjà plon­gé la capi­tale afghane dans la peur.

Elles ont alors hélé un second taxi et sont pas­sées cher­cher deux amies, les jumelles Sudaba et Zarifa, ren­con­trées à la pis­cine un an plus tôt. Les cinq com­parses sont désor­mais armées de leurs pan­cartes écrites en anglais, en pach­tou et en dari [les deux langues prin­ci­pales du pays, ndlr] : « Ici sont les femmes afghanes. » Elles ont entre 24 et 26 ans et ce jour-​là, sans vrai­ment le savoir, elles ont par­ti­ci­pé à la toute pre­mière mani­fes­ta­tion contre les tali­bans depuis leur vic­toire totale et éclair. Une mani­fes­ta­tion his­to­rique. Au rond-​point de Zanbaq, à l’entrée du palais pré­si­den­tiel, leurs cœurs bat­taient à tout rompre sous les longues tuniques noires qu’elles sont désor­mais obli­gées de porter. 

Sudaba, Zarifa, Taïba, Farida et Razia ont alors agrip­pé leurs pan­cartes et se sont avan­cées vers le mémo­rial éri­gé au milieu du rond-​point devant des tali­bans décon­te­nan­cés. Taïba, fonc­tion­naire au gou­ver­no­rat de Farah, pro­vince de l’ouest de l’Afghanistan, char­gée du « dépar­te­ment du genre » (Gender Department), était venue à Kaboul début août pour assis­ter à une confé­rence et s’est retrou­vée dans la capi­tale au moment de l’arrivée des tali­bans. La jeune femme de 26 ans se sou­vient d’avoir pris la parole face à eux le jour de la manif : « Où est la place des femmes afghanes dans le futur gou­ver­ne­ment ? Ne bâillon­nez pas nos voix. Les femmes repré­sentent 50 % de la socié­té. Les femmes afghanes existent. S’il vous plaît, ne bâillon­nez pas nos voix », leur a‑t-​elle lan­cé, n’écoutant que son cou­rage. Aux tali­bans, qui cherchent à impo­ser une inter­pré­ta­tion ultra radi­cale de la cha­ria, elle a osé rap­pe­ler que « selon les règles isla­miques et selon Allah, l’inclusion poli­tique, la vie, les études et le tra­vail sont aus­si la pré­ro­ga­tive des femmes ». 

Réseaux sociaux

Ce jour-​là, elles ont mar­qué l’Histoire. C’était la pre­mière fois que des Afghanes mani­fes­taient publi­que­ment leur oppo­si­tion au nou­veau régime. « Nous savions que ça allait être dan­ge­reux, mais il fal­lait mon­trer la voie. Il fal­lait bri­ser la peur », raconte aujourd’hui Sudaba, 24 ans, au chô­mage depuis que la socié­té indienne pour laquelle elle tra­vaillait a fer­mé ses portes à l’arrivée des insur­gés. « Nous ne sommes pas les mêmes Afghanes qu’il y a vingt ans, main­te­nant nous sommes édu­quées et puis­santes. Ce sont les tali­bans qui devraient avoir peur de nous, et non pas le contraire », mar­tèle cette acti­viste, qui aime à rap­pe­ler que sa jumelle et elle sont ori­gi­naires de la val­lée du Panchir, bas­tion his­to­rique du com­man­dant Massoud et de la résis­tance au mou­ve­ment islamiste. 

Afghanistan AVautier 8 A
Une femme fait la manche dans la ville de Paghman le 17 sep­tembre. Depuis l'arrivée au pou­voir des tali­bans mi-​août, les femmes sortent peu, sou­vent par peur des répre­sailles. ©Adrien Vautier /​Le Pictorium pour Causette

« Avec nos por­tables et les réseaux sociaux, nous avons les outils pour nous orga­ni­ser et pro­pa­ger notre com­bat. C’est aus­si effi­cace qu’un fusil », assure-​t-​elle. « Le but de cette mani­fes­ta­tion était d’encourager d’autres femmes à résis­ter et ça a fonc­tion­né, nous avons reçu plein de mes­sages », confirme Taïba. Tout de suite, les vidéos et pho­tos de cette pre­mière mani­fes­ta­tion ont cir­cu­lé en masse dans les médias et en ligne. Les groupes de conver­sa­tion WhatsApp se sont mul­ti­pliés, ras­sem­blant des cen­taines d’Afghanes prêtes à mener la résistance. 

« Mon nez a été brisé »

Depuis, avec leurs télé­phones, des pan­cartes et un cou­rage inouï, ces acti­vistes tentent de faire face. Le temps presse : chaque jour, leurs droits se réduisent un peu plus. « Nous sommes aus­si talen­tueuses que les femmes du reste du monde, mais les tali­bans pensent que ce pays appar­tient aux hommes », déplore Sudaba. Désœuvrée depuis qu’on l’a pri­vée de son emploi, elle occupe ses jour­nées en lisant des bio­gra­phies de Nelson Mandela et de Martin Luther King « pour s’inspirer », entre deux réunions afin d’organiser les pro­chaines mani­fes­ta­tions paci­fiques. Qui ne sont pas sans risque. 

Afghanistan AVautier 5 A

Les tali­bans n’hésitent plus à répri­mer dans le sang. Khaleda, 20 ans, a encore le visage tumé­fié et le nez cou­vert d’un pan­se­ment depuis qu’elle a par­ti­ci­pé à un ras­sem­ble­ment début sep­tembre, ins­pi­ré par la manif du 17 août. « J’ai été expres­sé­ment visée, assure cette diplô­mée en éco­no­mie, elle aus­si au chô­mage depuis la chute du gou­ver­ne­ment d’Ashraf Ghani. Un tali­ban s’est appro­ché de moi et m’a frap­pée au visage avec la crosse de son fusil. Mon nez a été bri­sé sur le coup. Un com­mer­çant m’a alors cachée dans son maga­sin jusqu’à ce que les tali­bans partent », confie-​t-​elle. Sa mai­son raconte autant que ses mots : des auto­col­lants de prin­cesses Disney ornent la porte de sa chambre à cou­cher tan­dis que des com­presses et des anti­dou­leurs ont trou­vé place sur l’étagère, à côté d’une pile de livres. 

« Le but de cette mani­fes­ta­tion était d'encourager d'autres femmes à résister »

Taiba, 26 ans, fonc­tion­naire char­gée du dépar­te­ment du genre de la pro­vince de Farah 

Malgré tout, les acti­vistes per­sistent. Ce mar­di 7 sep­tembre, Causette est là lorsque les coups de feu de som­ma­tion éclatent dans le ciel pour dis­per­ser la foule de mani­fes­tantes regrou­pées en face de l’ambassade du Pakistan. Elles sont cette fois une cen­taine à affi­cher leur oppo­si­tion aux tali­bans et à Islamabad, accu­sé de sou­te­nir le mou­ve­ment isla­miste. Des hommes armés tentent de les faire par­tir, mais elles tiennent bon et crient encore plus fort. « Nous vou­lons la liber­té, la liber­té, la liber­té ! Nous vou­lons la paix. Nous vou­lons un pays libre. Nous vou­lons que les ser­vices de ren­sei­gne­ments pakis­ta­nais sortent de ce pays. Partez, par­tez ! » s’époumone une den­tiste de 25 ans tan­dis qu’une autre mani­fes­tante, à peine majeure, ren­ché­rit de plus belle : « Les femmes devraient être auto­ri­sées à rejoindre le gou­ver­ne­ment. » « Tais-​toi ! » beugle un com­man­dant tali­ban nom­mé Janral Mubin, longue barbe noire et tur­ban assorti. 

« Mon frère, écoutez-​moi », lui répond cal­me­ment la jeune femme, tan­dis que l’homme fonce sur elle. « Non, ne me tou­chez pas ! Ne m’approchez pas ! Pourquoi est-​ce que vous ne me lais­sez pas par­ler ? Ayez du res­pect pour nos droits ! » hurle-​t-​elle en poin­tant un doigt entre les yeux du com­man­dant. « T’es une gang­ster », l’insulte l’homme armé d’un fusil d’assaut. « Non, c’est vous qui n’êtes qu’un gang ! Pas moi ! » lui rétorque l’activiste, un cou­rage à 9 sur l’échelle de Richter. Et d’ajouter, avant de tour­ner les talons : « On ne veut pas de pro­blèmes, on est sim­ple­ment ici pour faire res­pec­ter nos droits et notre honneur. »

Afghanistan AVautier 13 A
Le 7 sep­tembre à l'université pri­vée Avicenna de Kaboul, un rideau sépare désor­mais les gar­çons, et les filles dans les classes mixtes.©Adrien Vautier /​Le Pictorium pour Causette
Aînées entre doute et soutien

La fougue de cette nou­velle géné­ra­tion d’activistes inquiète leurs aînées, qui ne se font pas d’illusions sur le nou­veau régime isla­miste. « La répres­sion est de plus en plus extrême, donc je m’inquiète de ces petites mani­fes­ta­tions. C’est trop ris­qué, même si je sais que c’est un élan qui vient du cœur », estime Mahbouba Seraj, célèbre défen­seuse des droits des femmes qui a fait le choix de ne pas quit­ter le pays. « Mais si c’est à refaire, j’espère qu’on sera des mil­liers à des­cendre dans la rue, comme ça au moins, on pour­ra pro­té­ger ces jeunes femmes. »

Ce que redoutent de nom­breuses Afghanes, c’est qu’à force de menaces et de nou­velles règles tou­jours plus liber­ti­cides, elles se retrouvent bien­tôt pri­son­nières de leurs propres ­mai­sons. Certaines témoignent auprès de Causette avoir déjà été stop­pées dans la rue par des tali­bans qui refu­saient qu’elles se déplacent sans « mah­ram » (cha­pe­ron). Une régle­men­ta­tion déjà en vigueur lors du pré­cé­dent régime tali­ban, entre 1996 et 2001, avant que la coa­li­tion inter­na­tio­nale menée par les États-​Unis chasse les inté­gristes du pouvoir. 

« [Dans les années 1990] nous n'étions pas édu­quées et nous obéis­sions aux hommes. Cette nou­velle géné­ra­tion, en revanche, elle contre-attaque » 

Alema, 43 ans. 

« Peut-​être que les tali­bans sont aus­si puis­sants et dan­ge­reux qu’il y a vingt ans », s’inquiète Sudaba, qui nous a don­né rendez-​vous avec sa sœur jumelle dans un res­tau­rant de la capi­tale. « Avant leur arri­vée, je ne por­tais le voile qu’occasionnellement. Dorénavant, je n’ai pas d’autre choix que de l’emporter par­tout avec moi pour ma propre sécu­ri­té », raconte cette mili­tante. « Mais nous refu­se­rons d’obéir à davan­tage de règles », pré­vient sa sœur Zarifa, étu­diante en génie civil, une flamme dans les yeux. 

Farida, qui était dans la rue le 17 août avec Zarifa et Sudaba, pro­met que leur enga­ge­ment ne s’arrêtera pas là. « Tant que c’est pos­sible, nous allons conti­nuer notre com­bat et nous refu­se­rons de ­res­ter silen­cieuses. Si, vrai­ment, il devient impos­sible de se mobi­li­ser pour nos droits ici, en Afghanistan, alors nous irons dans un pays tiers et nous conti­nue­rons à nous battre depuis là-​bas », explique-​t-​elle en ­trem­pant ses lèvres dans une tasse de thé vert. Sa sœur, de vingt ans son aînée, la couve du regard avec un mélange d’inquiétude et de fierté. 

« J’aurais aimé que nous ayons eu le cou­rage de mani­fes­ter comme elles lorsque les tali­bans étaient au pou­voir dans les années 1990 », confie Alema, la grande sœur de Farida. « Mais nous étions dif­fé­rentes. Nous n’étions pas édu­quées et nous obéis­sions aux hommes. Cette ­nou­velle géné­ra­tion, en revanche, elle contre-​­attaque. J’aurais aimé être comme ça », ajoute-​t-​elle en sou­riant. Elle se lève, va cher­cher un sac en plas­tique qu’elle avait caché au fond d’une armoire, dans une boîte à vête­ments, et le pose devant sa sœur. à l’intérieur : les pan­cartes que Farida a déjà pré­pa­rées en pré­vi­sion de la pro­chaine mani­fes­ta­tion. Des feuilles de papier rose, vert et jaune, et cette phrase, cal­li­gra­phiée avec soin : « Face à l’inégalité, nous nous dres­sons comme une montagne. » 

Partager
Articles liés

Inverted wid­get

Turn on the "Inverted back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.

Accent wid­get

Turn on the "Accent back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.