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Pornographie : pour blo­quer l’accès aux mineur·es, le gou­ver­ne­ment envi­sage d’imposer la carte bleue

Pour restreindre l’accès des mineur·es aux sites pornographiques, la secrétaire d’État à l’Enfance, Charlotte Caubel, propose l’enregistrement d’une carte bleue pour accéder à du contenu pornographique. Une mesure jugée « imparfaite » par la Cnil.

Face à l’inaction des sites pornographiques accessibles en France de proposer un système efficace pour vérifier l’âge des internautes, le gouvernement a décidé de réagir en émettant une solution : imposer l’enregistrement d’une carte bleue pour accéder à du contenu pornographique. La secrétaire d’État à l’Enfance Charlotte Caubel a défendu cette idée à l’Assemblée nationale mardi 25 octobre, à l'occasion d'une audition devant la délégation aux droits de l'enfant. Une mesure qui pourrait, selon elle, agir comme un « filtre » via une transaction d’un ou zéro euro, permettant de garantir l’interdiction d’accès aux mineur·es à la pornographie. « On va faire bouger les choses assez sérieusement », a-t-elle assuré aux député·es de la délégation.

Surtout, Charlotte Caubel a dit « perdre patience » face au refus des sites pornographiques de se plier à la législation française. La loi du 30 juillet 2020 oblige en effet les sites X accessibles depuis la France à mettre en place un strict contrôle de l’âge de leurs client·es, selon l’amendement déposé à l’époque par la sénatrice Les Républicains Marie Mercier. En théorie, ils ne peuvent plus se contenter d’un simple message de prévention, sur lequel il suffit de cliquer « oui » pour attester de sa majorité. Dans les faits, la loi n’est pas appliquée.

Une vérification jugée « imparfaite » par la CNIL

Déjà, avant la promulgation de la loi, l’idée de l’identification par l’utilisation d’une carte bleue avait été mise sur la table par Marie Mercier, à l’origine de cet amendement. « Des solutions d’identification de l’âge existent, par exemple en passant par FranceConnect [le site qui permet de se connecter au site des impôts ou de l’Assurance maladie, ndlr] ou en utilisant une carte de paiement », pouvait-t-on lire dans l’amendement. Le gouvernement a écarté l’éventualité de FranceConnect en juin 2020 sans en préciser les raisons.

La mesure envisagée par la secrétaire d’État aurait néanmoins ses limites. La vérification de l’âge en ligne par le biais de l’utilisation de la carte bancaire a été jugée « imparfaite » par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) fin juillet. Elle avait alors souligné qu’une carte bleue peut facilement être octroyée à un·e mineur·e ou être subtilisée par un enfant à ses parents pour contourner le filtrage.

« Mon enfant, quand il utilise sa carte bleue, j’ai une alerte, je verrai si c’est sur Youporn ou sur McDo »

La secrétaire d’État à l’Enfance Charlotte Caubel.

« On nous oppose que ce ne serait pas un filtre parfait, mais déjà si on peut protéger 30 ou 40 % des mineurs, soyons pragmatiques. Mon enfant, quand il utilise sa carte bleue, j’ai une alerte, je verrai si c’est sur Youporn ou sur McDo », a avancé Charlotte Caubel à l'Assemblée.

Mais pour contourner ce contrôle, les internautes mineur·es pourraient aussi adopter les mêmes méthodes que les utilisateur·trices des pays appliquant une censure sur Internet en utilisant un logiciel VPN. Ces réseaux privés virtuels permettent de créer un tunnel sécurisé en faisant passer des communications sur des ordinateurs basés dans d’autres pays. Les VPN rendent alors toute forme de contrôle d’accès inutile puisque la personne qui se connecte par ce biais ne sera pas considérée comme un·e résident·e français·e et ne sera donc pas soumis·e au contrôle. Selon un sondage Ifop réalisé en juin 2020 pour le magazine spécialisé dans l’actualité du porno La voix du X, 41 % des consommateur·trices français·es de porno utilisent déjà ou ont l’intention d’utiliser prochainement un VPN pour contourner un possible blocage.

Lire aussi I Pornographie : un rapport du Sénat dénonce « l’enfer du décor »

Le contrôle par le biais d’une carte bleue soulève d’autres inquiétudes. Le même sondage Ifop relève ainsi que 57 % des Français·es voient dans l’obligation de renseigner ses informations bancaires une « atteinte à la vie privée ». Cet argument ne tient pas pour Charlotte Caubel. « Nous avons une industrie et des opérateurs qui considèrent que la protection des données des adultes, la liberté des adultes est le Saint Graal », a-t-elle lancé.

2,3 millions de mineur·es consommateur·trices de porno par mois en France

Selon un rapport sénatorial sur le porno publié le mois dernier, 2,3 millions de mineur·es se rendent sur des sites pornographiques chaque mois en France. Parmi eux·elles, deux tiers ont moins de quinze ans. « Arrêtons de prendre des pincettes ; oui, cela détruit nos enfants de l’intérieur. Et cela contribue à ne pas rompre la chaîne des violences sexuelles que nous continuons à nourrir », a insisté la secrétaire d’État.

Selon des informations de RTL, le cabinet de Charlotte Caubel serait actuellement en discussion avec celui du ministère délégué au Numérique de Jean-Noël Barrot et les fournisseurs d’accès à Internet pour avancer sur toutes les solutions de contrôle possibles. Outre la carte bleue, celle du « double anonymat » serait sur la table. Préconisée, elle, par la Cnil, elle consiste à recourir à une preuve de majorité via un tiers de confiance entre le site et l’internaute de sorte à protéger les données personnelles de celui-ci tout en vérifiant son âge. D’autres solutions pourraient être mises en avant dans le futur, notamment des technologies de reconnaissance faciales instantanées pour accéder à ces sites.

Par ailleurs, au cours de la même audition à l'Assemblée, la secrétaire d'État a indiqué que la France est « le quatrième pays producteur d’images pédopornographiques. » « Jusqu’à quand devons-nous attendre pour ouvrir les yeux ? », s’est-elle interrogée, ne cachant pas sa « colère ».


Où en est la procédure de l'Arcom ?

La loi du 30 juillet 2020 permet également à l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom, institution née de la fusion entre le CSA et Hadopi en janvier 2022) d’adresser une injonction de mise en conformité aux sites frauduleux et, à défaut, de saisir le président du tribunal judiciaire de Paris afin qu’il ordonne aux fournisseurs d’accès à Internet le blocage des sites en cause. Après de multiples constats d'huissiers, plusieurs mises en demeure ont été adressées par l'Arcom depuis le mois de décembre 2021, à cinq sites pornographiques accessibles en France. Faute de réaction des sites, l'Arcom avait demandé au président du tribunal judiciaire en mars d'ordonner leur blocage par les opérateurs. Mais la procédure a été ralentie début octobre par la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité par le site Pornhub, qui doit être étudiée sous trois mois par la Cour de cassation.

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