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© Derek Finch

Déserts médi­caux : la pro­fes­sion de gyné­co­lo­gie médi­cale dénonce les pertes de chances pour les patientes

Interview d'Isablle Héron, pré­si­dente de la Fédération natio­nale des col­lèges de gyné­co­lo­gie médi­cale, qui a récem­ment deman­dé un rendez-​vous avec le ministre de la Santé François Braun pour déblo­quer d'urgence la créa­tion de places d'internat dans cette spécialité.

Causette : En pré­am­bule, pouvez-​vous nous expli­quer la dif­fé­rence entre la gyné­co­lo­gie médi­cale et la gyné­co­lo­gie obs­té­trique ?
Isabelle Héron :
La gyné­co­lo­gie obs­té­trique est une spé­cia­li­té essen­tiel­le­ment chi­rur­gi­cale, qui com­prend le sui­vi de la gros­sesse jusqu'au terme, l'accouchement avec l'éventuelle réa­li­sa­tion de césa­riennes, etc. Elle peut aus­si inter­ve­nir sur des patho­lo­gies qui néces­sitent une opé­ra­tion de l'appareil repro­duc­teur fémi­nin ou des seins. La gyné­co­lo­gie médi­cale, elle, s’occupe des troubles du cycle, de l'endocrinologie, contra­cep­tion, de l'accompagnement de la puber­té et de la méno­pause, de l'infertilité et de la gros­sesse jusqu’au 6ème mois. La gyné­co­logue obs­té­tri­cienne peut faire de la gyné­co­lo­gie médi­cale, mais pas l'inverse.

Dans un com­mu­ni­qué de presse, votre fédé­ra­tion a son­né l'alarme à la mi-​novembre : il y a, dites-​vous, urgence à aug­men­ter le nombre de postes à l’internat pour cette spé­cia­li­té, sous peine de retards de diag­nos­tic dans les patho­lo­gies. La spé­cia­li­té manque-​t-​elle d'attractivité ?
I.H. :
Non, c'est au contraire l'une des spé­cia­li­tés qui sus­cite le plus d'engouement chez les étu­diants en méde­cine. Mais nous subis­sons les consé­quences de sa sup­pres­sion du cur­sus uni­ver­si­taire entre 1987 et 2003. A l'époque, on l'avait fer­mée sous pré­texte d'harmonisation euro­péenne, car la gyné­co­lo­gie médi­cale est une spé­ci­fi­ci­té fran­çaise. C'est grâce à une péti­tion qui cir­cu­lait dans les cabi­nets de gyné­co et était por­tée par des femmes influentes, signée au final par 1,6 mil­lions de femmes, que cette spé­cia­li­té est réap­pa­rue.
Mais aujourd'hui, nous sommes dans le creux de la vague géné­ra­tion­nelle, en rai­son des nom­breux départs à la retraite. Nous deman­dons donc d'ouvrir des postes d'internat pour pré­pa­rer cette spé­cia­li­té. Il y avait 87 places den 2022 contre seule­ment 10 en 2007.
C'est un effort mais cela reste cepen­dant bien en-​deçà du nombre de postes qu’il fau­drait pour pal­lier les départs en retraite (entre 120 et 130 postes par an selon nos esti­ma­tions). Nous pous­sons donc un cri d’alarme : nous sommes inquiètes pour la san­té de la femme dans les années à venir. La pénu­rie de gyné­co­logues pour­rait entraî­ner un retard de diag­nos­tic à cause des consul­ta­tions tar­dives, un défaut de dépis­tage comme de pré­ven­tion. C’est un peu déses­pé­rant car on sait que les démarches de pré­ven­tion type dépis­tage du can­cer du col de l'utérus ou du sein fonc­tionnent s'il y a assez de méde­cins der­rière et là, on a l'impression de reve­nir en arrière. 

Si vous obte­nez gain de cause, les effets de cette aug­men­ta­tion de postes met­tront plu­sieurs années à être visibles. Comment la pro­fes­sion fait-​elle face dans l'urgence ?
I.H. :
Beaucoup de mes consœurs retrai­tées conti­nuent à exer­cer afin de ne pas lais­ser leurs patientes sur le car­reau. Personnellement, j'ai 60 ans donc mon départ n'est pas pour tout de suite mais je me pose des ques­tions sur la relève, et ce alors que j'exerce à Rouen. Il ne faut pas croire que les déserts médi­caux ne concernent que la cam­pagne, cer­taines villes sont éga­le­ment tou­chées. Dans la région rouan­naise, cer­taines femmes qui ont un can­cer du sein ne par­viennent pas à trou­ver de méde­cin géné­ra­liste pour les suivre.
Par ailleurs, nous essayons de revoir l'organisation ter­ri­to­riale pour répondre aux urgences, en for­ma­li­sant des réseaux avec les géné­ra­listes et les sages femmes. Bien sûr, béné­fi­cier du sou­tien de l'Etat en la matière ne serait pas de refus.

Devant la charge de tra­vail, êtes-​vous contrainte de refu­ser de nou­velles patientes ?
I.H. :
Non, et – c'est un prin­cipe – je ne le ferai jamais, bien que je ne juge pas mes col­lègues qui y sont obli­gés. Environ 500 nou­velles patientes m'arrivent chaque année. Nous devons accueillir tout le monde, de l'adolescente sujette à la dys­mé­nor­rhée à la femme plus âgée qui a des fac­teurs hor­mo­naux de risques cardio-​vaculaires et qui n'a pas de méde­cin géné­ra­liste, faute d'en trouver.

Le gou­ver­ne­ment pré­voit de ral­lon­ger d'un an l'internat de méde­cine géné­rale afin d'organiser une affec­ta­tion des internes dans les zones déser­tées. L'internat de gyné­co­lo­gie médi­cale étant déjà de quatre ans, seriez-​vous favo­rable que la der­nière année soit orga­ni­sée de la même façon ?
I.H. :
Il peut être inté­res­sant que les spé­cia­listes se déplacent pour aller au contact des femmes qui n'ont pas accès aux soins. Cela peut être une piste, à condi­tion que ces internes béné­fi­cient d'un véri­table enca­dre­ment, au moins un ou deux jours par semaine et que les frais de trans­port soient rem­bour­sés.
A ce titre, cer­taines muni­ci­pa­li­tés ou agglo­mé­ra­tions ouvrent des centres de san­té avec des gyné­co­logues, pour pal­lier ces déserts. Là encore, c'est une très bonne idée, à condi­tion de créer les condi­tions d'attractivité du dis­po­si­tif avec le maté­riel qu'il faut.

Vous avez deman­dé un rendez-​vous au ministre de la Santé, François Braun, pour lui faire part de vos inquié­tudes. Vous a‑t-​il répon­du ?
I.H. :
Pas encore, mais le cour­rier a été envoyé il y a seule­ment quelques jours. Le pro­blème, c'est que cela fait des années qu’on inter­pelle les pou­voirs publics sur notre sous-​effectif chro­nique et qu'il ne se passe rien. Il y a quelques mois, j'avais écrit au pré­dé­ces­seur de François Braun, Olivier Véran. Il ne m'a jamais répon­du et je trouve ça assez irres­pec­tueux.
Je suis en colère car c'est du gâchis : la gyné­co­lo­gie médi­cale est une spé­cia­li­té très attrac­tive de part tout ce qu’elle repré­sente, sur les plans humain, médi­cal ou intel­lec­tuel. Mais nous fai­sons aus­si par­tie des spé­cia­li­tés les moins bien rému­né­rées, alors que nos consul­ta­tions sont longues, car cela prend du temps d'instaurer un cli­mat de confiance avec la patiente.

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