Maia Kobabe : « Je me sais privilégié·e d'avoir eu une famille qui m'a soutenu·e dans l'exploration de mon iden­ti­té de genre »

Publié en 2019 aux Etats-Unis et récompensé par plusieurs prix littéraires, le roman graphique Genre queer de Maia Kobabe a suscité l'ire des conservateur⸱rices qui l'ont fait sortir de nombreuses bibliothèques de lycées en 2021 et 2022.

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Portrait de Maia Kobabe © M. Ruddell

C'est un roman graphique qui peut se lire comme une succession de souvenirs plus ou moins heureux à la découverte de soi. Maia Kobabe, grandi·e en Californie dans une famille aimante et tolérante, se révèle au fil de son enfance et de son adolescence lesbienne, non-binaire mais aussi asexuel·le. Genre queer, paru début mai en France chez Casterman, est l'autobiographie d'un·e bédéaste désormais trentenaire narrant le mal-être de se sentir différent·e, la honte puis enfin la joie de trouver auprès de personnes queer les clefs pour se comprendre et s'aimer.

La sortie de Genre queer est auréolée en 2020 d'un Alex Award (qui récompense des ouvrages de littérature adulte qui font écho à des problématiques adolescentes) et d'un Stonewall Books Award (qui priment des œuvres sur des thématiques LGBTQ), tous deux attribués par l'American library association. Ces mises en lumière attirent l'attention des conservateur·rices, qui dénoncent une prétendue « promotion de la pédophilie » dans ces pages et parviennent à faire retirer l'ouvrage des bibliothèques de plusieurs lycées de différents Etats du pays. A l'occasion de sa sortie en France, entretien avec Maia Kobabe.

Causette : Genre queer est-il un livre, avant tout, sur l'acceptation de soi ?
Maia Kobabe :
Oui, on peut le dire ! C'est un livre qui raconte mes difficultés à composer avec des questions d'identité, et comment cela pouvait être dur quand je n'avais pas en ma possession les outils linguistiques pour poser ces questions, et encore moins trouver les réponses. Et ça parle aussi d'à quel point cela peut être libérateur et joyeux de m'approprier ces mots, afin de commencer à pouvoir me décrire aux autres, mais aussi établir des liens avec des gens qui me ressemblent et trouver ma place dans une communauté. J'ai traîné tellement de honte et de doutes, quand j'étais jeune. Ecrire ce livre m'a permis de mettre beaucoup de choses à plat.

Vous vous posiez des questions sur vos identités de genre et sexuelle en étant entouré·e par une famille aimante et des ami·es soutenant. Ce n'est pas le cas de toutes les personnes qui ont ces mêmes questions. Diriez-vous que c'est la chose la plus importante pour pouvoir traverser cette période de doutes ?
M.K. :
Avoir une famille soutenante devrait couler de source mais je sais que pour moi, c'était un privilège. J'ai su très tôt que je serai dans un environnement sécurisant le jour où je ferai mon coming out et que cela ne menacerait pas mes relations avec ma famille ou mes ami·es, que je ne rencontrerai pas de problème dans mon travail, ni pour trouver un logement ou bénéficier des services de santé, parce que j'étais protégé·e. Ce sentiment de sécurité a contribué pour une grande partie à me donner le courage d'être moi-même ouvertement et d'écrire ce livre.

Nous sommes dans une période dans laquelle les militant·es du genre utilisent des termes très précis pour parler de leurs identités, avec un vocabulaire en constante évolution. Pensez-vous que, dans vingt ou trente ans, ces dénominations seront toujours importantes ou sont-elles seulement un outil temporaire contribuant à la lutte pour être accepté ?
M.K. :
Je ne saurais répondre, mais il me tarde de le découvrir ! Je pense vraiment que ces labellisations particulières étaient une chose cruciale pour moi quand j'étais ado et, en devenant adulte, j'ai commencé à utiliser de plus en plus le terme "queer", en partie parce que c'est moins spécifique. Je pense aussi que le nouveau langage évolue très vite et que tout ça est très excitant. Peut-être que dans le futur, j'apprendrai un nouveau mot ou un nouveau concept qui révolutionnera la façon dont je me vois !

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Extrait de Genre queer © Maia Kobabe / Casterman

Vous n'êtes pas le·la premier·ère auteur·rice qui écrit sur la fluidité du genre, l'expérience non-binaire ou même l'asexualité. Comment expliquez-vous que votre bande dessinée dérange tellement celles et ceux qui l'ont fait censurer dans les établissements scolaires ?
M.K. :
Je crois que mon livre est particulièrement vulnérable aux contestations et à la censure parce que c'est un roman graphique. C'est très facile de diffuser sur les réseaux sociaux une ou deux images sorties de leur contexte. Le fait que mon livre ait été récompensé par deux fois par l'American library association a eu pour conséquence que les bibliothèques lui ont offert une belle exposition, parce que les bibliothécaires ont tendance à acheter les gagnants des prix. De fait, à chaque fois qu'un parent d'élève qui n'était pas d'accord avec mon livre le cherchait dans la bibliothèque du coin, il ou elle l'y trouvait !

Qu'est-ce qui a le plus crispé les gens, dans Genre queer ?
M.K. :
Toutes les plaintes contre mon livre ont affirmé que c'était trop explicite sexuellement parlant pour de jeunes lecteur·rices. Je n'ai jamais entendu quiconque se plaindre sur le sujet de l'asexualité.

Sur quel nouveau projet travaillez-vous désormais ?
M.K. :
Je viens de finir le premier jet de mon prochain livre ! C'est une fiction, mais cela tournera à nouveau autour d'une jeune personne luttant avec des problématiques de genre, de sexualité, de puberté et de la pression que peuvent parfois être les relations amicales et familiales. J'ai très hâte de le partager au monde, mais cela prendra encore au moins une année pour que je finisse de le dessiner.

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Genre queer, une autobiographie non binaire, de Maia Kobabe, chez Casterman

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