Le procès du chien, @Bande à part production
Laetitia Dosch, dans "Le procès du chien", son premier film @Bande à part production

Cannes 2024 – Laetitia Dosch : "Mon film exprime ma pro­fonde inquié­tude sur notre rap­port à l'exploitation d'autres espèces, comme des femmes"

Présenté dans la section Un certain regard, Le Procès du chien, premier film surréaliste réalisé par Laetitia Dosch, raconte avec beaucoup d’humour le combat d’une avocate suisse déterminée à sauver de la peine de mort son client, un chien qui a mordu une femme au visage ! Explications décoiffantes, sous un léger mistral, avec cette autrice-réalisatrice et actrice décidément singulière…

Causette : Comment vous est venue l'idée de ce procès d’un chien ?

Laetitia Dosch : En fait, je suis très préoccupée par la crise écologique. Donc depuis un certain moment, j'essaie de réfléchir au rôle que je peux jouer comme actrice et comme écrivaine par rapport à ça. Ça n’est pas un hasard si je fais des pièces de théâtre qui donnent à réfléchir sur la place des femmes, ou sur la place des autres espèces que nous : j’inscris tout ça dans une réflexion plus globale sur l’écologie. Car on est dans un moment où il faut vraiment changer de pensée. Il faut réinventer notre rapport au vivant, c’est énorme ce qui se passe ! Donc je m’interroge… Comment parler de ces questions-là ? Quand tout à coup, je croise une personne qui me raconte cette histoire d'un procès autour d'un chien. Bon, dans la vraie histoire, - car c’est une histoire qui a réellement eu lieu en Suisse -, c’était le procès du maître, pas du chien lui-même. Mais dans les faits, ce procès a vraiment mis la panique en ville, il y a eu des manifestations, des pétitions. Donc moi, quand j’entends ça, je me dis : mais si ça a créé ça, ce tumulte, c’est parce qu’il y a quelque chose qui n’est pas réglé sur le statut animal et qui demande à sortir ! Assez vite, aussi, je réalise que cela pourrait être un super sujet de comédie si, plutôt que le maître, je mettais le chien à la barre, avec des humains qui sont incapables de le juger…Voilà comment tout a commencé !

 Mais ça n’est pas la première fois que vous travaillez avec un animal et que vous lui donnez la parole, en quelque sorte. Ainsi, dans votre spectacle Hate, en 2018, vous partagiez la scène avec le cheval Corazon…

L.D. : Oui, j'ai un vrai plaisir à travailler avec les animaux, avec les enfants aussi. Je sais que ça n’est pas commun, on dit même qu’il n’y a rien de plus difficile, mais moi, j'adore ça. Surtout avec ce chien formidable ! Dans le film il s’appelle Cosmos, mais dans la vraie vie il s’appelle Kodi. Il a d’abord vécu dans la rue, avant d’être adopté et d’apprendre plein de choses pour faire Le Procès du chien. Il a été un vrai partenaire de travail. C’était donc très important pour moi qu’il soit sur l’affiche du film et que son nom figure au générique, parce que c’est un acteur, tout bonnement. D’ailleurs il vient à Cannes, il va monter les marches avec toute l’équipe du film, il va faire les photos… comme tous les acteurs.

Que vouliez-vous raconter, au fond, en mettant ainsi un chien au premier plan de votre intrigue… et d’un procès ?

L.D. : Je voulais juste raconter notre rapport aux autres animaux, le questionner. Un chien, par exemple, c'est un animal qui vient du loup et qu'on a formé à être dépendant de nous. On a pris les plus affectueux, on les a sélectionnés pendant 40 000 ans. On a fait ce travail pour que cet animal puisse vivre avec nous, selon nos règles. Mais que fait-on lorsque cet animal ne répond plus à ces règles et qu’il se met à mordre, par exemple ? On le tue ? Ce sont des questions super intéressantes… et qui ne concernent pas que les animaux. Voyez les femmes, à qui on demande beaucoup de se conformer à une certaine façon d'être. Là aussi, on fait quoi si elles ne s'y conforment pas ? Et partant de là, comment font-elles, elles, pour se libérer ? Comment font-elles, même, pour retrouver qui elle sont ? Donc voilà, à travers le chien, je parle aussi des femmes, comme je parle des autres espèces !

Vous poursuivez une jolie carrière de comédienne, mais c’est la première fois que vous passez derrière la caméra. Ce passage à la réalisation ressemble-t-il à une libération, pour vous aussi ?

L.D. : En fait, je suis passée à la réalisation parce que cette histoire m’en a donné envie, et pas l’inverse. Après, je ferai sûrement d’autres films, car je suis super contente de pouvoir changer de casquette pour ne pas avoir à courir après une histoire tout le temps. Mais j’aime toujours servir les histoires des autres. Disons que passer à la réalisation, pour moi, c'est être convaincue d'une histoire si fortement que je peux la porter pendant quatre ans, contre vents et marées. Ça, oui, la conviction, c'est une libération.

Vous ne choisissez pas la voie la plus facile pour commencer, puisque vous optez pour le ton de la comédie, voire de l’absurde. Un registre que vous avez pas mal fréquenté en tant qu’actrice…. 

L.D. : Alors, je ne dirais pas "absurde" pour qualifier mon film, plutôt "surréaliste"... Quoiqu’il en soit, si j’ai choisi la comédie, c'est parce que c'est pour tout le monde. Enfin, c'est pour que tout le monde se sente bien, et puisse passer un bon moment. Par ailleurs, c’est un super terreau pour poser des questions importantes. Par exemple : comment est-ce qu'on juge un chien ? Et, plus généralement : quel statut on donne à un animal ? Car je rappelle que pour l'instant, dans la loi, il est assimilé à un bien, à une chose. C'est pour ça qu'on peut le détruire. On peut le manger, ou on peut le tuer quand on pense qu'il est trop vieux. On peut faire plein de choses avec un animal. Bref ! La comédie, c’est bien pour poser des questions super importantes mine de rien….

D’ailleurs, votre film en pose au moins deux à travers le procès de ce chien qui mord. Première question : est-ce qu'un individu violent peut être guéri ?  

L.D. : La violence, je trouve qu'on ne sait jamais où elle commence. C'est très difficile à déterminer. Enfin, j'imagine que ce n'est pas toujours le cas, mais là, le chien mord, on peut dire en effet qu’il est violent. Après, est-ce qu'il mord pour de bonnes raisons, ou pas ? De la même façon, est-ce qu'une femme qui se rebifferait, qui s'énerverait, elle s'énerverait pour de bonnes raisons ou pas ? Quelles sont ces raisons, en tout cas ? Vous voyez, la cause de la violence est souvent complexe. Surtout en ce moment où tout s'enflamme très très vite. On a l'impression de vivre sur un tas de braises et que la moindre étincelle peut révéler la violence qui était sous-jacente depuis longtemps.

Deuxième question, également motrice de votre récit : un individu a-t-il le droit de changer ?

L.D. : J’ai l’impression que j’y réponds à travers l’autre personnage principal du film, celui d’Avril (que Laetitia Dosch interprète ndlr), l’avocate du chien. De fait, elle se reconnaît dans le chien. C'est grâce à lui qu'elle change : elle change parce qu’elle va avoir la conviction qu’elle doit le défendre. Elle qui, comme beaucoup de femmes de 40 ans aujourd’hui, se sent prise entre deux mondes, qui a du mal à se trouver, qui est gauche… Eh bien, en se projetant sur Cosmos, en s'attachant à lui, en voulant qu'il soit sauvé, elle prend de la force.

Finalement, on pourrait presque qualifier ce film décalé, surréaliste dites-vous, comme étant aussi un film politique, non ? 

L.D. : Disons que c'est un film qui est là pour exprimer ma profonde inquiétude sur notre rapport à l'exploitation d'autres espèces comme aux femmes. C'est une comédie déguisée en drame ou un drame déguisé en comédie. Mais c'est aussi fait pour que vous passiez un bon moment !

Dernière question et pas des moindres : Cosmos mord essentiellement les femmes. Vous pourriez développer un petit peu… ? 

L.D. :Ah… Il ne faut pas trop en dire là-dessus ! Mais effectivement, il ne mord que des femmes, ce qui n'est pas vraiment de bon ton en ce moment ! En fait, tout le long du film, on essaie de comprendre si Cosmos est misogyne ou si ça vient d'ailleurs…. Je ne donnerai pas la réponse ici. Une chose est sûre : elle est dans le film et elle est assez marrante je crois !

Le Procès du chien, de Laetitia Dosch. En sélection officielle à Cannes à Un certain regard. A découvrir en salle le 11 septembre prochain.

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