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Le dernier des Juifs © Ad Vitam

“May December”, “Le Dernier des juifs”, “L’Homme d’argile”… Les sor­ties ciné de la semaine

Un face-​à-​face trou­blant entre deux femmes insai­sis­sables, un tan­dem mère-​fils drô­le­ment tou­chant, une ren­contre inso­lite entre un homme des bois et une artiste : voi­ci les sor­ties ciné­ma du 24 janvier.

May December

De Todd Haynes, l’un des réa­li­sa­teurs amé­ri­cains les plus doués de sa géné­ra­tion (Loin du para­dis, Carol), on connais­sait sur­tout son goût pour le mélo flam­boyant, genre hol­ly­woo­dien suprême qui lui a per­mis de son­der sub­ti­le­ment les inter­dits de son pays (par exemple une love sto­ry inter­ra­ciale) comme de mettre en avant des per­son­nages fémi­nins trans­gres­sifs (par exemple un couple les­bien très chic). On retrouve bel et bien ces deux enjeux dans May December, sauf que ce nou­vel opus se pare d’une cruau­té inhabituelle… 

S’inspirant libre­ment de l’affaire Mary Kay Letourneau, qui fit scan­dale il y a près de trente ans, Todd Haynes déroule sa fic­tion incon­for­table autour de deux femmes aus­si fas­ci­nantes qu’insaisissables. La pre­mière se nomme Elizabeth et est une actrice renom­mée en fin de tren­taine. Pour pré­pa­rer son nou­veau rôle, elle débarque à Savannah, en Géorgie, afin de ren­con­trer la seconde, Gracie, une mère de famille d’une cin­quan­taine d’années, qu’elle s’apprête à inter­pré­ter. Bizarre ? Pas for­cé­ment : une ving­taine d’années aupa­ra­vant, la sémillante Gracie a fait la Une des tabloïds. Alors mariée (et déjà mère), elle fut jugée et condam­née à 7 ans de pri­son pour avoir noué une rela­tion inter­dite avec Joe, un gar­çon de 13 ans deve­nu, depuis, le père de ses plus jeunes enfants et son actuel mari. La petite famille, appa­rem­ment heu­reuse, vit d’ailleurs dans une belle mai­son au bord du fleuve quand Elizabeth fait leur connaissance…

Porté par le thème musi­cal com­po­sé par Michel Legrand pour Le Messager, qui créée d’emblée une sen­sa­tion d’attente et de sus­pense mais injecte aus­si une légère dose d’ironie au récit, May December s’apparente tout à la fois à une enquête (celle d’Elizabeth, qui s’invite dans l’intimité de Gracie, sou­cieuse, dit-​elle, de la com­prendre), à un face-​à-​face (les deux femmes n’ont de cesse de se regar­der, de s’observer, de s’épier) et à un jeu de mas­sacre (aux dépens des autres membres de la famille). D’où ce sen­ti­ment de cruau­té, in fine.

Bien sûr, Natalie Portman (dans le rôle d’Elizabeth) et Julianne Moore (dans celui de Gracie) se prêtent avec beau­coup de finesse – et d’intensité – à ce jeu de miroirs ver­ti­gi­neux (la mise en scène mul­ti­pliant les effets de reflets et de doubles). Bien sûr, Todd Haynes est bien trop intel­li­gent pour por­ter un quel­conque juge­ment moral sur ses per­son­nages, pri­vi­lé­giant la com­plexi­té, le malaise et les ques­tions (par exemple, le bon­heur de Gracie et Joe est-​il réel ou fac­tice ?). Reste qu’un sen­ti­ment poi­gnant se dégage, peu à peu, de ce récit minu­tieux, véné­neux, par-​delà les sou­rires de façade, la lumi­no­si­té aveu­glante du décor et la sua­vi­té un brin suf­fo­cante de son atmo­sphère (Sud pro­fond oblige, on ne peut s’empêcher de pen­ser à Tennessee Williams et à son uni­vers raf­fi­né et tra­gique). Un sen­ti­ment qui se foca­lise essen­tiel­le­ment autour du per­son­nage de Joe, le trop jeune mari de Gracie (mer­veilleux Charles Melton), adulte incer­tain, père éga­ré et amant sou­mis, enfant per­du et sacri­fié à jamais, sur­tout. À la dif­fé­rence d’Elizabeth et de Gracie, femmes puis­santes quoique bor­der­line, lui n’est pas acteur mais spec­ta­teur de sa propre vie. Il est aus­si le seul que Todd Haynes filme avec ten­dresse… et il nous bouleverse.

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May December, de Todd Haynes. 
© ARP Selection

Le Dernier des juifs

Ça n’est pas si cou­rant, une comé­die qui touche autant ! Peut-​être parce que son sujet – ris­qué – téles­cope une actua­li­té tra­gique (la guerre entre Israël et le Hamas) et ses consé­quences en France (une hausse des actes et pro­pos anti­sé­mites). Probablement parce que son mes­sage, huma­niste et joyeux, fait du bien. Sûrement parce que son écri­ture, fine et bur­lesque, tord les cli­chés de tous bords. Venant d’un jeune auteur aus­si doué que Noé Debré (Dheepan et Problemos, côté ciné­ma ; Parlement, côté série…), on n’est pas vrai­ment surpris·e, cela dit !

Premier atout : son intrigue et ses per­son­nages. Le Dernier des juifs croque ain­si le por­trait de Bellisha, glan­deur atta­chant de 27 ans (Michael Zindel, un débu­tant aus­si déli­cieux que pro­met­teur), qui ment sans arrêt à Giselle, sa mère malade, céli­ba­taire et angois­sée (Agnès Jaoui, tout en rete­nue). D’abord pour ras­su­rer sa “mam­ma juive”, ensuite pour se sous­traire gen­ti­ment aux injonc­tions sociales et fami­liales (il ne tra­vaille pas, il sort avec une femme arabe et mariée, il héberge le temps d’une nuit un jeune voi­sin délin­quant, etc.). Ainsi va leur vie com­mune et modeste dans leur 2‑pièces HLM de ban­lieue. Là même où nombre de com­mu­nau­tés se côtoient, se chambrent et s’entraident ; là même ou Bellisha et sa mère sont “les der­niers juifs de la cité”, comme elle ne cesse de le répé­ter. Un décor peu amène, un ter­ri­toire en muta­tion, une poi­gnée de pro­ta­go­nistes “mélan­co­miques”… ou com­ment trai­ter d’un thème sen­sible – le vivre ensemble – en étant au plus près, sans gros­sir le trait, de ceux qui l’expérimentent chaque jour dans la dif­fi­cul­té mais aus­si dans la joie simple. À noter, en pas­sant, que la judéi­té a rare­ment été abor­dée par le biais d’une famille pauvre et vivant en cité : une autre façon de bous­cu­ler les idées reçues…

Deuxième atout : son regard géné­reux et atten­tif. Prenez, jus­te­ment, cette mère juive obses­sion­nelle, a prio­ri dépha­sée. Bien sûr qu’elle est raciste, mais davan­tage par bêtise que par méchan­ce­té, nous explique Noé Debré. En fait, elle est sur­tout en souf­france et ne se sent plus à sa place nulle part, elle la sépha­rade, la nos­tal­gique, l’éternelle exi­lée. À tra­vers Giselle, ce jeune auteur-​réalisateur fran­çais pose ain­si des ques­tions pro­fondes et actuelles : où se sent-​on chez soi fina­le­ment ? Là où l’on est né·e ? Au sein de sa com­mu­nau­té ? Ou là où l’on s’est ancré·e et où l’on a fon­dé une famille, tra­vaillé, aimé ?

Dernier atout de ce pre­mier film intel­li­gent : son humour, réjouis­sant parce que tran­quille, ne cherche ni la pun­chline facile, ni à rire aux dépens de qui­conque. Tendre, en somme, comme son mes­sage rassembleur…

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Le Dernier des juifs, de Noé Debré.
© Ad Vitam

L’Homme d’argile

Sans doute le pre­mier film d’Anaïs Tellenne doit-​il beau­coup au cha­risme de ses deux inter­prètes prin­ci­paux, à savoir Raphaël Thiéry et son phy­sique mas­sif, comme acci­den­té, et Emmanuelle Devos et sa superbe fra­gi­li­té. L’un·e et l’autre y sont frappant·es en effet, et très attachant·es. Reste que L’Homme fra­gile, qui oscille entre le conte, la para­bole et la satire, attise la curio­si­té dès ses pre­mières séquences. À la fois dépay­santes et familières…

Nous voi­ci embarqué·es au côté de Raphaël, qui n’a qu’un œil tel un cyclope gen­til et s’occupe d’un manoir dans lequel plus per­sonne ne vit (il habite dans un petit pavillon, avec sa mère, à l’entrée du grand domaine). Les jours se suivent et se res­semblent pour ce vieux gar­çon de 60 ans, jusqu’à cette nuit d’orage où, sou­dain, ce gar­dien soli­taire, joueur de cor­ne­muse et amant inter­mit­tent de la pos­tière du vil­lage (excel­lente Marie-​Christine Orry), doit accueillir l’héritière dudit manoir. Elle s’appelle Garance et c’est une artiste plas­ti­cienne aus­si cotée qu’excentrique. Dès lors, plus rien ne sera jamais pareil pour Raphaël : elle va bien­tôt le choi­sir pour modèle d’une de ses sta­tues d’argile…

Constamment intri­gant, ce drôle de récit se joue de nombre de codes et de fausses pistes. Distillant cal­me­ment son mys­tère, il s’amuse ain­si à remo­de­ler tout le long sa matière, presque aus­si souple et flexible que l’argile humide de Garance à force de balan­cer entre le gothique et le réa­lisme, ou encore le roma­nesque (Raphaël tombe en amour pour Garance) et la comé­die sociale (entre l’homme du peuple et l’artiste bour­geoise, une lutte des classes affleure, for­cé­ment). On se laisse donc séduire par la richesse de son atmo­sphère, de même que par la pro­fon­deur de son his­toire. Car mine de rien, L’Homme d’argile sonde autant la ques­tion de la mons­truo­si­té (pas sûr que Raphaël, pro­to­type de l’homme des bois tai­seux, soit le pro­ta­go­niste le plus inquié­tant fina­le­ment…) que celle du regard des autres sur soi (et la façon dont ils peuvent nous influen­cer). Bien joué, décidément !

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L’Homme d’argile, d’Anaïs Tellenne.
© New Story

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