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© @evasteinitz

Éva Steinitz, pucière : “Pour exis­ter aux puces de Saint-​Ouen, on doit savoir pour­quoi on vient chez toi et pas le voisin."

Dans sa bou­tique du mar­ché aux puces de Saint-​Ouen, Éva Steinitz, 41 ans, vend les pièces qu’elle chine. Son outil : l’œil. Sa bous­sole : le beau.

“Je viens d’une famille d’antiquaires : mon grand-​père, mon père, mon oncle et mes tantes ont fait ou font ce métier. J’ai été éle­vée dans l’amour du beau. J’ai gran­di dans un appar­te­ment à Paris, dans le 9e arron­dis­se­ment, rue Drouot, pile en face de l’Hôtel Drouot, lieu his­to­rique de ventes aux enchères. Mes parents fré­quen­taient essen­tiel­le­ment des anti­quaires. Chez nous, c’était meu­blé comme une gale­rie, avec des pièces qui tour­naient. Dès 12 ans, j’ai eu une coif­feuse Empire du XIXe siècle. Je l’ai tou­jours, elle fait par­tie de moi. 

L’éducation que j’ai reçue m’a per­mis d’avoir un rap­port décom­plexé et décul­pa­bi­li­sé à l’art. Très vite, vers 14 ans, je me suis auto­ri­sée à affir­mer mes goûts et j’ai pris mes pre­mières “claques” cultu­relles au musée. À 17 ans, je pleure devant une pein­ture de l’Autrichien Egon Schiele au musée Maillol. L’expressionnisme me per­cute et plus lar­ge­ment tout ce qui a beau­coup de style. 

Bien avant d’être majeure, je pars habi­ter avec mes tantes, dont une à 22 ans. Je baigne dans la musique et la mode. Après une double licence arts plas­tiques et phi­lo­so­phie, je me lance avec ma tante dans une bou­tique pari­sienne. Elle vend de la mode vin­tage et moi, de l’art contem­po­rain, en contac­tant des artistes du monde entier sur les réseaux sociaux.

“La plu­part des pièces sont signées, mais ce n’est pas ça qui m’anime, ni le côté spé­cu­la­tif. C’est plu­tôt la beau­té, le style”

Ma bou­tique se trouve à côté d’une fon­taine et des seules toi­lettes, un empla­ce­ment dou­ble­ment stra­té­gique. Elle est petite – une dizaine de mètres car­rés, mais pla­cée à un embran­che­ment qui offre une grande pers­pec­tive sur ma vitrine. J’ai aus­si un espace exté­rieur, devant, où je déballe des pièces sur un tapis. Chez moi, on trouve des objets et des meubles de toutes les époques, de l’Art déco aux années 2000. Je pro­pose des pièces fortes avec beau­coup de per­son­na­li­té : bureau, coif­feuse, bou­doir, biblio­thèque, pein­ture, sculp­ture… La plu­part sont signées, mais ce n’est pas ça qui m’anime, ni le côté spé­cu­la­tif. C’est plu­tôt la beau­té, le style. Pour exis­ter aux puces de Saint-​Ouen, il faut être iden­ti­fiable. On doit savoir pour­quoi on vient chez toi et pas le voisin.

Une mino­ri­té de femmes

Mon métier, c’est ache­ter la meilleure mar­chan­dise le moins cher pos­sible et la revendre au prix que je juge le plus juste. Je tra­vaille avec mon exper­tise de l’histoire de l’art et mon œil. J’achète prin­ci­pa­le­ment dans les salles de ventes aux enchères, mais on peut aus­si chi­ner dans des débal­lages pro­fes­sion­nels ou lors de suc­ces­sions, quand une famille vide une maison. 

Les enchères de Drouot sont acces­sibles à tout le monde. On peut y par­ti­ci­per sur place, mais aus­si en ligne. On connaît la liste des lots et leur des­crip­tion entre une semaine et un mois à l’avance. Quand on veut ache­ter, on lève la main, ou un sty­lo, ou bien on le fait en ligne ou au télé­phone si on ne veut pas être vu. Quand tu enché­ris der­rière un écran, tu restes ano­nyme et tu n’es pas impres­sion­né par les gens dans la salle, qui peuvent juger ton achat ou te mettre des bâtons dans les roues. Sur place, c’est plus impres­sion­nant : les mar­chands guettent qui achète quoi et jusqu’à com­bien on va dépen­ser pour telle ou telle pièce. Le milieu se renou­velle, mais les femmes res­tent minoritaires.

“La beau­té des objets m’épanouit, je suis amou­reuse des pièces que je vends”

J’ouvre ma bou­tique du ven­dre­di au lun­di. Le reste de la semaine, je me déplace sur les ventes et je gère la logis­tique. Je récu­père, net­toie, res­taure, pho­to­gra­phie les objets, j’alimente mon compte Instagram, je refais la mise en scène de ma vitrine. Dès que je peux, je vais voir des expo­si­tions et j’y emmène mes enfants. Dans ce métier, il faut se nour­rir cultu­rel­le­ment et intel­lec­tuel­le­ment, bouf­fer de l’art – de tous types – sans cesse. La beau­té des objets m’épanouit, je suis amou­reuse des pièces que je vends. Je me vois faire ça long­temps, je n’ai aucune envie de m’installer avec une gale­rie dans Paris. C’est un luxe de tra­vailler aux Puces, d’être entou­rée au quo­ti­dien par de la beau­té. On quitte peu ce métier : même à la retraite, cer­tains mar­chands conti­nuent de venir dans les Puces pour faire ce boulot.”

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