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©Mika Baumeister

Loi « Stop fémi­ni­cide » adop­tée en Belgique : « ins­crire le fémi­ni­cide dans le code pénal fran­çais vali­de­rait la parole des victimes »

Pour l’avocate péna­liste Isabelle Steyer et la pré­si­dente de l’Union natio­nale des familles de fémi­ni­cides, Sandrine Bouchait, ins­crire le fémi­ni­cide dans le code pénal fran­çais sur le modèle belge est « néces­saire » pour com­prendre le conti­nuum des vio­lences qui y mènent. 

C’est une pre­mière en Europe. Le Parlement belge a adop­té fin juin une loi-​cadre pour lut­ter contre les fémi­ni­cides. La loi « Stop fémi­ni­cide » qui s’appliquera d’ici quelques semaines est le fruit d’un long tra­vail mené par Marie-​Colline Leroy, secré­taire d’État à l’Égalité des genres et Sarah Schlitz, sa pré­dé­ces­seure. « Cette loi est une révo­lu­tion : nous allons enfin comp­ter offi­ciel­le­ment les fémi­ni­cides, étu­dier plus en détails ce fléau, et mettre en place plu­sieurs outils com­plé­men­taires pour éra­di­quer ce phé­no­mène, et sau­ver des vies. Trop sou­vent des vic­times auraient pu être évi­tées parce que l’évaluation des risques n’a pas été faite. Avec cette loi nous y remé­dions », s’est féli­ci­tée cette der­nière sur son site

Concrètement, cette loi-​cadre va per­mettre à la Belgique de col­lec­ter des don­nées sta­tis­tiques, d’améliorer les droits et la pro­tec­tion des vic­times ain­si que de pré­voir la for­ma­tion des forces de l’ordre et des magistrat·es sur le sujet des vio­lences faites aux femmes. Surtout, la Belgique emboite le pas de plu­sieurs pays d’Amérique Latine en ins­cri­vant offi­ciel­le­ment la notion de fémi­ni­cide dans le code pénal belge pré­voyant une dis­tinc­tion claire entre quatre types de fémi­ni­cides : le fémi­ni­cide intime, com­mis par un com­pa­gnon ou un ex-​compagnon, le fémi­ni­cide non-​intime com­mis par une tierce per­sonne (par exemple sur une tra­vailleuse du sexe ou une femme trans­genre), le fémi­ni­cide indi­rect (suite à un avor­te­ment for­cé ou une muti­la­tion géni­tale) ain­si que l’homicide fon­dé sur le genre sur un homme transgenre. 

L’importance d’inscrire le fémi­ni­cide dans la loi pour les asso­cia­tions féministes

L’inscription du fémi­ni­cide dans le code pénal belge a été sui­vie – et applau­die – en France par les asso­cia­tions fémi­nistes. « C’est très impor­tant que ce soit défi­ni et que ce soit ins­crit dans le code pénal, affirme Sandrine Bouchait, pré­si­dente de l’Union natio­nale des familles de fémi­ni­cides (UNFF), dont la sœur, Ghyslaine, 96éme fémi­ni­cide de l’année 2017, a été brû­lée vive par son com­pa­gnon. On le demande en France mais ça freine des quatre fers pour son ins­crip­tion alors que c’est nécessaire. » 

En France, le terme « fémi­ni­cide » est désor­mais entré dans la sphère poli­tique et média­tique, ain­si que dans Le Petit Robert en 2015 et dans le Larousse il y a deux ans. Pourtant, il ne connaît tou­jours pas d’existence juri­dique puisqu’il n’est pas ins­crit dans le code pénal fran­çais. Le meurtre sur conjoint·e, concubin·e ou par­te­naire lié·e à la vic­time par un PACS, est néan­moins une cir­cons­tance aggra­vante de l’homicide, aux termes de l’article 221–4 du code pénal, fai­sant alors encou­rir la réclu­sion cri­mi­nelle à per­pé­tui­té pour son·sa auteur·trice. Cette peine est éga­le­ment encou­rue lorsque les faits sont com­mis par l’ex-conjoint·e ou ex-compagnon·compagne. 

« Le nom­mer c’est nous évi­ter la ques­tion du crime pas­sion­nel, de l’excuse de la provocation. » 

Isabelle Steyer 

L’entrée du terme dans le code pénal fran­çais fait d'ailleurs l'objet de vifs débat depuis quelques années. Dans une tri­bune publiée dans Le Monde en 2019, Céline Parisot, pré­si­dente de l’Union Syndicale des Magistrats, estime qu’en ins­cri­vant le fémi­ni­cide, il serait dif­fi­cile de prou­ver que le crime est com­mis en rai­son du genre, et que dès lors, son ins­crip­tion dans la loi serait contre-​productive. À l’inverse, les asso­cia­tions fémi­nistes et certain·es avo­cates spé­cia­listes des vio­lences envers les femmes demandent son ins­crip­tion afin de don­ner de la visi­bi­li­té à une vio­lence bien réelle. 

C’est le cas de Me Isabelle Steyer, spé­cia­liste du droit des femmes et des enfants vic­times de vio­lences phy­siques, psy­cho­lo­giques et sexuelles. « Il faut le nom­mer et le défi­nir, assure-​t-​elle à Causette. Le nom­mer c’est nous évi­ter la ques­tion du crime pas­sion­nel, de l’excuse de la pro­vo­ca­tion parce que madame a reçu un tex­to d’un homme, parce qu’elle s’est habillée comme ci ou comme ça, ou parce qu’elle a choi­si de par­tir. Je le vois sans cesse en cour d’assises : les auteurs de vio­lences donnent des expli­ca­tions, des jus­ti­fi­ca­tions aux­quelles les jurés peuvent adhé­rer. Inscrire le fémi­ni­cide dans la loi per­met­trait de ne plus voir cela. Mon enne­mi dans les dos­siers de fémi­ni­cide ce sont les moyens de défense pour expli­quer le meurtre, le vali­der ou le rendre expli­cable et donc acceptable. » 

Lire aus­si I Féminicides : com­ment les recenser ?

Définir le fémi­ni­cide dans le code pénal fran­çais per­met­trait éga­le­ment d’avoir une seule et même des­crip­tion. Actuellement, deux recen­se­ments mili­tants coexistent pour dénom­brer les fémi­ni­cides en France – l’un est effec­tué par le col­lec­tif Féminicides par Compagnon ou Ex qui recense depuis 2006 uni­que­ment les fémi­ni­cides intimes, l’autre par le col­lec­tif fémi­niste Nous toutes, qui compte depuis jan­vier 2022 tous les fémi­ni­cides, y com­pris ceux ne rele­vant pas d'un contexte conjugal. 

Du côté de la Belgique, la nou­velle loi-​cadre défi­nit non seule­ment les types de fémi­ni­cides mais aus­si les dif­fé­rentes formes de vio­lence qui peuvent les pré­cé­der : les vio­lences sexistes et sexuelles, les vio­lences psy­cho­lo­giques mais aus­si le contrôle coer­ci­tif. « On sait que les vio­lences fon­dées sur le genre forment un conti­nuum, un cercle vicieux qui com­mence par­fois par des formes de vio­lences qui peuvent paraître plus ano­dines », sou­ligne l’ancienne secré­taire d’État à l’Égalité des genres, Sarah Schlitz, sur son site. 

Lire aus­si I Le contrôle coer­ci­tif, cette notion qui pour­rait révo­lu­tion­ner la lutte contre les vio­lences conjugales

Comprendre le conti­nuum des vio­lences conjugales 

Pour Sandrine Bouchait, défi­nir toutes ces formes de vio­lences est « très impor­tant » pour com­prendre ce conti­nuum des vio­lences conju­gales. « C’est essen­tiel de sou­li­gner qu’il n’y a pas for­cé­ment de vio­lences phy­siques dans un fémi­ni­cide. Dans les cam­pagnes de sen­si­bi­li­sa­tion on voit tou­jours des femmes mar­quées phy­si­que­ment mais ce n’est pas tou­jours le cas. Il faut décons­truire l’image de la vic­time avec un œil au beurre noir car les vio­lences conju­gales sont aus­si psy­cho­lo­giques », pointe la pré­si­dente de l’UNFF auprès de Causette.

Même constat chez Isabelle Steyer. « Je trouve ça extrê­me­ment inté­res­sant que les vio­lences psy­cho­lo­giques soient englo­bées dans la loi belge, elles sont sou­vent le point de départ des vio­lences conju­gales qui mènent au fémi­ni­cide, sou­tient l’avocate. Les inclure dans le même outil juri­dique per­met de faire le lien entre les vio­lences psy­cho­lo­giques et le fémi­ni­cide. Ça per­met de se rendre compte que c’est un pro­ces­sus. » Pour l'avocate, ins­crire ce pro­ces­sus dans la loi fran­çaise per­met­trait de le mettre en avant en cours d’assises. « On pour­ra plai­der que la vic­time ne pou­vait pas sor­tir libre­ment, ne pou­vait pas avoir accès à la contra­cep­tion, ne pou­vait pas voir ses copines, assure Me Steyer. Bien sou­vent, les gens ne com­prennent pas com­ment ce conti­nuum de vio­lences se met en place, ils ne com­prennent pas pour­quoi la vic­time n’est pas par­tie à la pre­mière insulte. Dire que c’est ins­crit dans la loi, que même le légis­la­teur l’a com­pris, ça valide la parole des vic­times, ce n’est plus de la paranoïa. »

À la ques­tion, une telle loi est-​elle trans­po­sable en France, la réponse d’Isabelle Steyer est sans appel. « On a tout le maté­riel juri­dique pour pen­ser que la France attend une loi comme celle-​là, les Français sont infor­més, c’est le moment. Si on ne le fait pas main­te­nant, quand est-​ce qu’on le fera ? Est-​ce qu’on attend d’avoir encore cent mortes ? », inter­roge l'avocate.

Lire aus­si I Dans un rap­port, la dépu­tée Émilie Chandler pré­co­nise « des pôles spé­cia­li­sés dans les tri­bu­naux pour l’ensemble des vio­lences intrafamiliales »

En mai der­nier, la dépu­tée Renaissance du Val‑d’Oise Émilie Chandler et la séna­trice Union cen­triste de l’Yonne, Dominique Vérien ont remis offi­ciel­le­ment leur rap­port sur le trai­te­ment judi­ciaire des vio­lences intra­fa­mi­liales à la pre­mière ministre, Élisabeth Borne. Certaines de la soixan­taine de pro­po­si­tions émises dans ce docu­ment ont été reprises dans leur inté­gra­li­té dans le plan Égalité, pré­sen­té par la pre­mière ministre en mars der­nier. Parmi elles, la créa­tion de pôles spé­cia­li­sés dans les vio­lences intra­fa­mi­liales notam­ment – bien que, dans un pre­mier temps de com­mu­ni­ca­tion, Élisabeth Borne a créé la confu­sion en évo­quant des pôles spé­cia­li­sés dans les seules vio­lences conju­gales, ce que deman­dait par ailleurs plu­sieurs asso­cia­tions féministes. 

« La créa­tion de ces pôles ne va rien chan­ger, estime Me Steyer. J’aurais aimé qu’il y ait une vraie juri­dic­tion spé­cia­li­sée pour nous per­mettre de régler dans un même lieu ces questions-​là. On a besoin d’avoir des cour­roies de trans­mis­sion réelle entre les dif­fé­rents juges. » D’une manière plus géné­rale, pour l’avocate, « énor­mé­ment de choses manquent dans ce rap­port » : « Il dépous­sière quelque chose que l’on connaît déjà et ne va pas assez loin sur la pro­tec­tion des femmes et des enfants. Il n’y a rien par exemple sur l’aliénation paren­tale. » 

Prendre en charge les enfants vic­times de féminicide 

Même regret du côté de Sandrine Bouchait. La pré­si­dente de l’UNFF, qui a fait des enfants vic­times de fémi­ni­cide son che­val de bataille, demande depuis des années la créa­tion d’un sta­tut de vic­time pour les enfants, qui leur per­met­trait notam­ment d’avoir accès à un accom­pa­gne­ment psy­cho­lo­gique sys­té­ma­tique, immé­diat et gra­tuit. Un sta­tut qui serait cal­qué sur celui des enfants vic­times de ter­ro­risme. Actuellement, la prise en charge de ces enfants est très inégale selon les ter­ri­toires. En Seine-​Saint-​Denis par exemple, le « pro­to­cole fémi­ni­cide » a lar­ge­ment fait ses preuves depuis sa mise en place en 2015. « Parfois je dis iro­ni­que­ment aux femmes que je reçois au sein de l’association d’aller s’installer en Seine-​Saint-​Denis car au moins leurs enfants seront bien pris en charge si elles meurent », relate Sandrine Bouchait. 

La pré­si­dente de l’UNFF pré­cise à Causette s’être rap­pro­chée de la dépu­tée Émilie Chandler et de la séna­trice Dominique Vérien après avoir reçu le rap­port afin d’évoquer plus pré­ci­sé­ment le sort des enfants. « Elles devaient reve­nir vers nous », indique-​t-​elle. Pour l’heure, pas de retour. Rappelons que selon le décompte du col­lec­tif fémi­niste Nous toutes, soixante dix femmes sont mortes depuis le début de l’année et au moins vingt enfants sont devenu.es orphelin.es de mère. 

Lire aus­si I Féminicides : elles avaient por­té plainte, les forces de l'ordre ne les ont pas protégées

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