Décès de la jour­na­liste qué­bé­coise Denise Bombardier : celle qui avait osé dénon­cer Matzneff à la télé

L’écrivaine est décédée mardi à l’âge de 82 ans. En 1990, elle avait pris à partie Gabriel Matzneff qui se vantait d’avoir des relations sexuelles avec des mineures. Une indignation courageuse qui lui aura valu à l'époque nombre de critiques.

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Denise Bombardier, au salon international
du livre de Québec en 2013 ©Asclepias

Denise Bombardier est décédée à l’âge de 82 ans mardi 4 juillet, emportée par un cancer fulgurant et « entourée des gens qui l’aimaient », a annoncé sa famille dans un communiqué, évoquant « sa force extraordinaire, son esprit et son grand humour, qu’elle aura eu jusqu’à la dernière heure. » Féministe engagée, la journaliste et romancière québécoise fut l’une des premières à s’imposer dans le boys club des médias québécois à l'orée des années 70. Elle a notamment travaillé pendant plus de trente ans pour la chaîne de télévision francophone, Radio Canada.

« Femme de parole et de tête, Denise Bombardier était une grande Montréalaise qui avait le courage de ses opinions », a salué la maire de Montréal, Valérie Plante, sur Twitter. Un hommage justifié au regard des prises de position de Denise Bombardier. Elle avait par exemple osé s’attaquer publiquement à l’écrivain Gabriel Matzneff. C’était en mars 1990 sur le plateau d’Apostrophes, l’émission de Bernard Pivot diffusée sur Antenne 2 qui réunissait alors deux à trois millions de téléspectateur·trices.

Denise Bombardier, romancière, vient présenter son dernier livre, Tremblement de cœur (Seuil). Parmi les autres écrivain·es invité·es de l’émission : Alexandre Jardin, Catherine Hermary-Vieille et donc Gabriel Matzneff. À l’époque, l’homme aujourd’hui visé par une enquête pour viols sur mineur·es, est une figure emblématique des milieux littéraires et politiques français.

Indignation et complaisance

Le présentateur Bernard Pivot questionne Matzneff sur la sortie de son dernier ouvrage, Mes amours décomposés (Gallimard) qui fait l’apologie des relations sexuelles avec des mineures : « Pourquoi vous êtes-vous spécialisé dans les lycéennes et les minettes ? Au-dessus de 20 ans, on voit que ça ne vous intéresse plus ». Ce dernier lui répond sans scrupule : « Je préfère avoir dans ma vie des gens qui ne sont pas encore durcis, qui sont plus gentils. Une fille très, très jeune est plutôt plus gentille ». La réponse de Matzneff déclenche aussitôt les rires gras des invité·es et du public. Sauf chez Denise Bombardier. Choquée, elle réagit tout de suite. « Je crois que je vis actuellement sur une autre planète parce que j’arrive d’un continent où il y a un certain nombre de choses auxquelles on croit. Nous sommes à la fin du XXe siècle, et nous défendons le droit des enfants et on les protège. [...] Monsieur Matzneff nous raconte qu’il sodomise des jeunes filles de 14 ans, 15 ans, qui sont folles de lui. On sait bien que des petites filles peuvent être folles d’un homme avec une aura littéraire. D’ailleurs, on sait que les vieux messieurs attirent des enfants avec des bonbons », déclare-t-elle avant de conclure : « Je crois que s’il était un employé anonyme de n’importe quelle société, il aurait des comptes à rendre avec la justice de ce pays ». Sur le plateau, autour d’elle, on sourit, on rit presque de son indignation. De son côté, Gabriel Matzneff la qualifie d’« agressive ».

Plus de vingt ans après cette séquence, Denise Bombardier n’avait d’ailleurs toujours pas changé d’avis. En 2019 auprès du Parisien, elle revient sur cet épisode expliquant qu’elle avait préparé son intervention en amont. « J'avais lu le livre de Gabriel Matzneff, Mes Amours décomposés, et j'avais été écœurée par ce qu'il décrivait : Matzneff expliquait qu'il sodomisait des petites filles de 14, 15, 16 ans… J'étais sidérée qu'on puisse inviter l'auteur de ce livre à la télévision ! », se souvenait-elle. Ce courage lui aura tout de même coûté une certaine visibilité en France. « Je n'ai plus jamais eu de chroniques pour mes livres dans certains journaux, comme Le Monde. Les - nombreux - soutiens de Matzneff m'ont caricaturée comme une femme moralisatrice et d'extrême droite », soulignait Denise Bombardier dans Le Parisien.

Il aura fallu attendre Le Consentement de Vanessa Springora en 2020 pour que se brise, enfin, l’omerta autour de Matzneff. Ce livre dans lequel l’écrivaine revient sur la relation traumatisante qu’elle a eue à 14 ans avec Gabriel Matzneff dans les années 80, sous le regard toujours complaisant du milieu littéraire, Denise Bombardier l’a lu. « Il y a quelques jours, d'ailleurs, Vanessa Springora m'a envoyé un courriel, dans lequel elle me dit que mon intervention lui a donné du courage et l'a aidée à écrire… », glissait-elle au Parisien il y a quatre ans. Comme quoi, d’un courage à l’autre, il n’y a souvent qu’un pas.

Lire aussi I "Le Consentement" : une adaptation théâtrale magistrale, avec une Ludivine Sagnier incandescente

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