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Homophobie dans le foot : ren­contre entre l'ancien foot­bal­leur pro­fes­sion­nel Ouissem Belgacem et le pré­sident des Ultras Indians Tolosa, Alexandre Roux

Pour débattre du rôle du foot dans la lutte contre l'homophobie, Causette a réuni les Toulousains Ouissem Belgacem, ancien foot­bal­leur pro­fes­sion­nel gay et Alexandre Roux, actuel pré­sident du groupe Ultra des Indians Tolosa.

L'Euro qui vient de se finir sur la vic­toire de l'Italie l'aura mis en lumière, à l'occasion d'une fric­tion diplo­ma­tique entre Munich et la Hongrie, qui n'a pas sup­por­té que la ville alle­mande ait vou­lu illu­mi­ner son stade aux cou­leurs du dra­peau LGBTQI+ pour dénon­cer une loi hon­groise contre une pré­ten­due « pro­pa­gande gay » : le foot­ball, en tant que sport le plus popu­laire au monde, est un ter­rain du poli­tique et ne peut se sous­traire aux débats socié­taux. Lâchée par l'UEFA, ins­tance orga­ni­sa­trice de l'Euro qui a refu­sé ces ori­peaux inclu­sifs le 22 juin, Munich avait alors contour­né la cen­sure en dis­tri­buant des dra­peaux LGBT aux sup­por­ters et en parant d'autres façades de la ville aux cou­leurs arc-​en-​ciel. Et maintenant ?

Face à des ins­tances diri­geantes foot­bal­lis­tiques qui peinent à s'engager dans la lutte contre l'homophobie, Causette s'est deman­dé com­ment les supporter·trices peuvent jouer un rôle d'avant-garde sur le sujet. Nous avons réuni Ouissem Belgacem et Alexandre Roux pour en par­ler. Le pre­mier est l'auteur du livre Adieu ma honte, dans lequel il raconte com­ment son homo­sexua­li­té a été un frein à une car­rière de foot­bal­leur pro­fes­sion­nel débu­tée au Centre de for­ma­tion du Toulouse Football Club (TFC, actuel­le­ment en Ligue 2). Le second est pré­sident des Indians Tolosa, un groupe de sup­por­ters Ultra du TFC.

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À gauche, Ouissem Belgacem © Pascal Ito /​Editions Fayard, à droite, Alexandre Roux © DR

Causette : L’UEFA a refu­sé d'illuminer le stade de Munich en arc-​en-​ciel pour le match de l'Euro Allemagne-​Hongrie, en sou­tien à la com­mu­nau­té LGBTQIA+ hon­groise. Elle s'est jus­ti­fiée en disant que l'UEFA était une orga­ni­sa­tion « poli­ti­que­ment neutre ». Vous com­pre­nez cette déci­sion ?
Ouissem Belgacem : C’est une honte. Complète et royale. Le foot, c’est un sport. Et le sport ça porte des valeurs. C’est le tous ensemble, le vivre-​ensemble. Si illu­mi­ner un stade ça aide des popu­la­tions oppri­mées, ça leur coûte quoi ? Ils ont lou­pé une occa­sion de faire une belle action. 
Alexandre Roux : Je suis par­fai­te­ment d’accord, ça ne devrait pas poser pro­blème d’illuminer un stade aux cou­leurs LGBTQIA+. Le foot c’est le sport le plus popu­laire au monde, ça doit véhi­cu­ler des valeurs d’ouverture, être beau. C’est dom­mage qu’on en arrive là…

On s'en sou­vient, en 2019, la ministre des Sports Roxana Maracineanu s'était lan­cée dans une cam­pagne de sen­si­bi­li­sa­tion pour éra­di­quer des stades les slo­gans issus d’un champ lexi­cal homo­phobe. James Rophé, l’ancien pré­sident de l’Association natio­nale des sup­por­ters (ANS), décla­rait en 2019 : « Il y a deux sujets impor­tants. L'expression homo­phobe, notam­ment avec des chants et l'intention homo­phobe. » Vous com­pre­nez ce dis­tin­go ?
O.B. : Je suis entiè­re­ment d’accord sur le fait qu’il ne faut jamais dire que tous les fans de foot sont homo­phobes, parce que ce n’est pas le cas. Mais ce serait se voi­ler la face de dire qu’il n’y en a pas. Et effec­ti­ve­ment, le sou­ci, c’est qu’il y a plein de gens pour qui les pro­pos et les injures homo­phobes ne partent pas d’une mau­vaise inten­tion. Mais moi qui les ai enten­dus très tôt, je sais qu’à 15 ans, entendre des mil­liers de per­sonnes crier à l’unisson la même insulte, ça met une claque. Beaucoup de mots racistes sont sor­tis de nos stades parce qu’ils ne sont plus accep­tables. Il est grand temps, en 2021, de faire le même net­toyage avec les injures homo­phobes. Il y a d’autres mots qu’on peut uti­li­ser pour désta­bi­li­ser l’adversaire ou pour sou­te­nir son équipe. 
A.R. : L’homophobie dans les stades, c’est un sujet qui a été mis sur la table il y a deux ans, en début de sai­son, quand des matchs ont été arrê­tés à cause de cer­tains chants. [Un match de Ligue 2 oppo­sant Nancy à Le Mans avait été inter­rom­pu, une pre­mière en France, ndlr] Et oui effec­ti­ve­ment en tant qu’Ultra, on n’a pas com­pris. D'abord parce que c’est venu d’un coup, sans aucun aver­tis­se­ment, aucune dis­cus­sion. Et ensuite, le fait que cer­tains de nos chants soient consi­dé­rés comme homo­phobes. Par exemple, quand on chante contre la Ligue de foot­ball pro­fes­sion­nel (LFP) « La Ligue, on t’encule », pour nous c'est un chant qui n’a vrai­ment aucune arrière-​pensée. Mais je me rends compte que ça peut être per­çu dif­fé­rem­ment. Ouissem, ça m'intéresse de savoir : com­ment, toi, tu le res­sens ?
O.B. : Je vais te répondre très sin­cè­re­ment : je com­prends que lorsque vous chan­tez ça, vous n’y voyez pas le mal. Mais si tu ana­lyses le chant, tu uti­lises une pra­tique homo­sexuelle pour dégra­der tes adver­saires. Il y a une conno­ta­tion néga­tive, puisque tu l’utilises pour dis­cré­di­ter quelqu’un. Se ser­vir d'une pra­tique sexuelle pour dégra­der autrui, tu peux com­prendre que même si toi dans ta tête ça ne l’est pas, ce n’est pas flat­teur envers la com­mu­nau­té LGBTQIA+. Le joueur gay qui entend ça, ça le rebute. Ce ne sont pas les homos qui sont res­pon­sables de l’énervement que la Ligue ou l'équipe adverse a cau­sé, donc ils ne devraient pas être un dom­mage col­la­té­ral. La langue fran­çaise est tel­le­ment riche qu’on peut uti­li­ser plein d’autres mots. Le mes­sage pas­se­ra tout autant et aucune com­mu­nau­té ne sera stig­ma­ti­sée. Même si le but ce n’est pas de cen­su­rer…
A.R. : De toute façon, la cen­sure, ça ne marche pas. Au début de la sai­son, en 2019, la LFP avait essayé de faire arrê­ter les matchs en cas de pro­pos homo­phobes. Mais l'idée avait vite été aban­don­née. Dans le monde des tri­bunes, c’est un peu la guerre, sur­tout avec la Ligue. Alors la seule chose qu’on avait envie de faire, c’était de chan­ter encore plus, juste pour pro­vo­quer… Sur un sujet comme ça, le fait d’en par­ler, d’échanger, je trouve ça beau­coup plus construc­tif. 
O.B. : Et tout ça, je le com­prends à l’âge adulte, mais dans le stade il y a des ados qui auront plus de mal à per­ce­voir la por­tée du chant. Ça me fait pen­ser à l’époque où on par­lait des bon­bons « les têtes de nègres ». On le tolé­rait, sauf que non. On peut lui don­ner un autre nom à ce bon­bon. Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas d’intention raciste que je peux me per­mettre de le dire.
A.R. : Oui la fina­li­té est la même, ça blesse pareil à la fin.

« C’est à la Fédération Française de Football et aux clubs de don­ner le mes­sage ini­tial, et ensuite aux sup­por­ters de suivre. »

Ouissem Belgacem

Les supporter·trices ont-​ils et elles une res­pon­sa­bi­li­té dans la lutte contre l'homophobie ?
A. R. : Au moment de la polé­mique en 2019, chez les Indians nous n'avions pas vou­lu nous enga­ger parce qu’on ne vou­lait pas faire quelque chose sim­ple­ment pour se défendre, en réponse à une attaque. Si on s’engage, c’est pour que ce soit construc­tif et que ça aide réel­le­ment. Maintenant que la polé­mique est retom­bée, ce serait peut-​être le bon moment. J’en par­le­rai en réunion avec le groupe, parce que je pense que c’est avant tout une édu­ca­tion à faire au sein des groupes Ultras. Nous vou­lons être un groupe pro­gres­siste, on se fixe une limite que d’autres en France n’ont pas. On ne traite per­sonne de « PD » par exemple, parce que pour nous c’est une insulte homo­phobe carac­té­ri­sée. Mais il faut faire un tra­vail de fond, pas que dans la forme. C’est très impor­tant. Par exemple, Ouissem, ce qui pour­rait avoir beau­coup d’effet, c’est qu’on fasse une inter­view de toi dans notre petit maga­zine ven­du en interne, qui sort tous les trois ou quatre mois. Ce serait une façon effi­cace de tou­cher nos membres. Récemment avec la nou­velle direc­tion, j’étais venu au centre de for­ma­tion du TFC pour par­ler de l’histoire du club. Ça avait été un échange assez sym­pa. Donc peut-​être qu’on pour­rait le faire pour cette thématique-​là aus­si. Mais seule­ment une fois que le tra­vail aura été fait chez nous. À ce moment-​là, pour­quoi ne pas essayer d’influer au niveau des centres de for­ma­tion.
O. B. : Je pense que c’est très intel­li­gent ce que vient de dire Alexandre. Avant d’aller por­ter une parole, il faut déjà être clean dans sa mai­son. Je pense que le chan­ge­ment peut venir des sup­por­ters et c’est génial. Mais c’est leur don­ner une res­pon­sa­bi­li­té qu’ils ne devraient pas avoir. C’est à la Fédération Française de Football et aux clubs de don­ner le mes­sage ini­tial, et ensuite aux sup­por­ters de suivre. Et puis je ne veux pas être pes­si­miste, mais on invi­si­bi­lise encore beau­coup ce sujet. J’ai l’impression que si tout le monde se prend en main à la base, les ins­tances ne vont pas vou­loir faire de chan­ge­ments forts, en se disant : « Vous voyez, on ne fait rien et tout va mieux. » C’est un peu le point sur lequel il faut être vigilant.

« Les Ultras de Bordeaux peuvent bran­dir des dra­peaux LGBT et ensuite venir à Toulouse en chan­tant "Toulouse, Toulouse, on t'encule" »

Alexandre Roux

En avril der­nier, la mobi­li­sa­tion des supporter·trices contre la Super Ligue a contri­bué à l'abandon du pro­jet. Les supporter·trices ont quand même une cer­taine influence, non ?
A. R. : Oui, si tout le monde s’engageait d’un coup, ça ferait bou­ger les choses. Mais c’est com­pli­qué à l'heure actuelle, de faire comme pour la Super Ligue. Il y a encore des groupes en France qui uti­lisent des chants homo­phobes. Et d'après ce que me dit Ouissem, c’est notre cas à nous aus­si, alors qu’on ne pen­sait pas… Mais il y a encore des groupes qui sont très arrié­rés. Par exemple quand les Ultramarines de Bordeaux avaient bran­di des dra­peaux en sou­tien à la com­mu­nau­té LGBTQIA+ lors d'un match, d'autres en ont pro­fi­té pour les trai­ter de PD… Et puis il y a un côté un peu para­doxal. Ces même Ultramarines, quand ils venaient en bar­rages à Toulouse, chan­taient : « Toulouse, Toulouse, on t’encule »… Alors clai­re­ment, ce serait com­pli­qué de décré­ter une union contre l’homophobie.
O. B. : Et puis avant d’être dans la pro­mo­tion d’une com­mu­nau­té, il faut déjà arrê­ter de la déni­grer, de quel­conque manière que ce soit. On n’a pas besoin que les sup­por­ters aillent ouvrir la Gay Pride à Toulouse, ce n’est pas ce qu’on demande. À mon sens, on aura gran­de­ment avan­cé si en France, il n'y a plus de chants homo­phobes dans les stades. Et on en est très loin. Ce sont des hymnes qui existent depuis tel­le­ment d’années. Je com­prends que ça va soû­ler les gens de devoir chan­ger leur manière de sou­te­nir leur équipe. Mais déjà ça ce serait très beau, si rien que toi, au sein des Indians ou du Stadium, tu portes ce mes­sage. Et puis qui sait, peut-​être que sans chants homo­phobes, le TFC va remon­ter en Ligue 1 direct…

Lire aus­si l Homophobie dans les stades : faut-​il sévir contre les supporters ?

Le foot est tou­jours un milieu très mas­cu­lin. Est-​ce que cela contri­bue à l’homophobie ambiante ?
O.B. : Rien n’a une seule source, sur­tout pas l’homophobie. Mais oui, je pense qu’il y a un rap­port. Les gens ont cette image de l’homosexuel qui est très effé­mi­né. Et ça ne colle pas avec l’image que l’on a du foot­ball, qui est un sport de contact. Alors oui, je pense qu’il y a un pro­blème lié à la mas­cu­li­ni­té et c’est sans doute aus­si pour ça qu’on n’a pas fait de place aux femmes dans les stades pen­dant long­temps, même si ça aus­si, c’est en train de chan­ger. Le sexisme et l’homophobie vont sou­vent ensemble. Ce n’est pas la seule expli­ca­tion, mais ce côté très macho, exa­cer­bant une mas­cu­li­ni­té un peu toxique, ça joue for­cé­ment.
A.R. : Oui. D’ailleurs c’est vrai que le mou­ve­ment Ultra, c’est quand même un uni­vers de mecs un peu. On a très peu de femmes dans le groupe. Je pense que cela a un impact, forcément.

9782213720739 001 T 1

Adieu ma honte, de Ouissem Belgacem avec Éléonore Gurrey, édi­tions Fayard, mai 2021

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