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De gauche à droite : Martha Gellhorn, Adeline Gray et Maureen Sweeney. © Rittase, William M., 1894-1968, photographer for the United States Office of War Information / Wikimedia Commons, © Unknown photographer / Wikimedia Commons, © Capture écran nytimes.com

Maureen Sweeney, Martha Gellhorn et Adeline Gray : ces femmes oubliées qui ont fait le débarquement

Ce 6 juin 2024, nous célébrons les 80 ans du débarquement des alliés en Normandie. L’occasion de mettre en lumière trois femmes aujourd’hui oubliées, trois héroïnes qui ont pourtant joué un rôle primordial et sans qui le le D-Day aurait même pu virer au fiasco complet.

Maureen Sweeney, la météorologue irlandaise qui sauva le débarquement
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Maureen Sweeney
© Capture écran nytimes.com

3 juin 1944. Le débarquement sur les côtes normandes, préparé dans le plus grand des secrets depuis des mois par les alliés britanniques et américains, doit avoir lieu dans moins de quarante-huit heures, à l’aube du 5 juin. La date n’a pas été choisie au hasard, elle réunit toutes les conditions nécessaires : une nuit de pleine lune, un ciel dégagé, un vent faible, une marée basse et une mer calme.

Loin de toutes ces préoccupations militaires, à Blacksod, petit village niché dans une région isolée du nord-ouest de l’Irlande, Maureen Sweeney vient de fêter ses 21 ans. Elle travaille depuis deux ans comme employée du Bureau des Postes. Ce dernier servant aussi de station météorologique, la jeune femme est chargée d’enregistrer les données météos à chaque heure de la journée et les transmettre ensuite au quartier général de la météorologie anglaise de Londres. Chose que Maureen Sweeney ignore, c’est que ces données précieuses – qui permettent d’anticiper les conditions météorologiques se dirigeant vers le continent européen - sont ensuite transmises aux forces alliées.

Dans la nuit du 3 au 4 juin, Maureen Sweeney est donc à son poste. Elle est déjà bien entamée lorsqu’elle enregistre les signes imminents d’une violente tempête, qu’elle transmet comme à son habitude. Fait tout à fait inhabituel alors, l’Irlandaise reçoit une série d’appels lui demandant de vérifier et revérifier les calculs. Maureen confirme le risque de tempête sur la Manche, ce qui pousse le général américain Eisenhower à reporter l’opération d’une journée. Le 5 juin, la mer se révélera en effet très agitée compliquant de fait le débarquement des soldats sur les plages normandes.

Si nous connaissons tous et toutes la suite de l’histoire - les alliés débarqueront finalement à l’aube du 6 juin - l’implication de Maureen Sweeney tombe, elle, dans l’oubli. Pire, il faudra attendre 1956 pour que l’intéressée apprenne elle-même l’importance de ses prévisions météorologiques. “Nous devons beaucoup à Maureen, nous qui avons envahi la France le jour J, déclarera plus tard un vétéran britannique dans un documentaire diffusé sur la chaîne irlandaise publique, RTÉ, en 2019. Car si elle n’avait pas su lire la météo, nous aurions péri dans la tempête.” La météorologue irlandaise est décédée en décembre 2023 à l’âge de 100 ans et dans l’anonymat.

Adeline Gray, la parachutiste qui testa le premier parachute en nylon
Adeline Gray
Adeline Gray © Unknown
photographer / Wikimedia Commons

6 juin 1944. À 1h du matin, alors que les navires des troupes alliées sont encore loin du rivage, plus de 23 000 parachutistes sont largués dans la campagne normande. Leur rôle est périlleux : ils doivent rejoindre les soldats qui débarqueront sur les plages en évitant les balles des troupes allemandes. L’opération militaire est un succès.

Mais elle ne l’aurait peut-être pas été sans l’implication d’Adeline Gray deux ans plus tôt. La jeune américaine, passionnée de saut en parachute depuis son enfance, s’est faite employer dans la Pioneer Parachute Company à l’âge de 19 ans. Cinq ans plus tard, elle compte déjà 32 sauts à son actif et elle est la seule femme à posséder un brevet de parachutiste dans le Connecticut. C'est alors que les États-Unis se retrouvent en guerre avec le Japon, leur principal fournisseur de soie, textile utilisé pour le tissu des parachutes. Les États-Unis entament alors une course contre la montre pour trouver un textile de remplacement permettant d’utiliser les airs pour larguer des soldats en France.

L’entreprise d’Adeline Gray s’associe alors avec le groupe industriel de chimie DuPont afin de travailler sur un prototype fabriqué avec une fibre révolutionnaire pour l’époque, le nylon. Les premiers modèles sont lestés de mannequins en bois, mais pour être validés par l’armée américaine, ils doivent être également testés par un humain. Et c’est à ce moment-là que la petite histoire rencontre la grande. Adeline Gray se porte immédiatement volontaire à l'exercice loin d'être sans danger. Le 6 juin 1942, deux ans jour pour jour avant le débarquement, elle est larguée dans les airs et atterrit sans encombre devant une brochette de gradés américains. Le test est un succès et permettra à l’armée américaine de doter les GI de parachutes en nylon. Lorsqu'ils furent largués au dessus des marais normands, la plupart de ces hommes devaient ignorer qu’ils devaient la vie à une femme, une aventurière qui finira, elle aussi, sa vie dans l'anonymat.

Martha Gellhorn, la journaliste américaine qui couvrira le débarquement en temps réel
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Martha Gellhorn © Rittase,
William M./ Wikimedia Commons

6 juin 1944. Martha Gellhorn s’agace. La journaliste américaine en poste à Londres apprend par la radio le lancement imminent de l’opération Overlord. Mais, réticence à envoyer des femmes sur des terrains de guerre oblige, c’est à son époux, l’écrivain Ernest Hemingway, qui travaille comme elle pour le magazine américain Collier’s Weekly, que l’on confie l’accréditation pour couvrir le débarquement des alliés en Normandie. Qu’à cela ne tienne, Martha Gellhorn se précipite sur la côte anglaise avec l’ambition – quelque peu démesurée – d’embarquer sur l’un des navires qui accostera la plage d’Omaha Beach quelques heures plus tard.

La reporter intrépide prétend être une infirmière de la Croix-Rouge pour embarquer à bord du premier navire-hôpital. Et lorsque retentit la stridente sirène du départ, elle s’enferme dans les toilettes. Martha Gellhorn ne s’arrête pas à cette petite intrusion. Elle se déguise en brancardier pour pouvoir débarquer sur la plage et couvrir l'événement historique en temps réel et au plus près des soldats américains. Elle sera ainsi la seule femme à couvrir le D-Day. Ironie de l’histoire, Ernest Hemingway couvrira lui aussi le débarquement, mais au large, depuis une barge, les autorités militaires américaines ne l’ayant pas autorisé à débarquer.

À son retour, l'article de Martha Gellhorn sur les premiers militaires américains blessés est un succès, mais la journaliste paye le prix de son audace. Le quartier général des forces alliées en Europe lui interdira de remettre un pied en Normandie. Mais qu’importe pour la tête brûlée. Quelques mois plus tard, elle accompagne les troupes américaines lors de la libération du camp de concentration de Dachau en Allemagne, puis couvre la guerre du Vietnam et la guerre civile au Salvador à la fin du XXème siècle. Cette fois sous sa véritable identité.

En 2019, le journal Ouest-France consacre un article sur les reporters de guerre ayant couvert le D-Day à l’occasion du 75e anniversaire du débarquement. On loue alors les histoires héroïques de Robert Capa, Walter Cronkite, Samuel Fuller, Ernest Pyle et… Ernest Hemingway. Martha Gellhron, elle, n’est pas mentionnée. “Des écrits, des photos que l’Histoire retiendra […] des documents inestimables que l’on doit à une poignée d’illustres reporters de guerre ayant suivi les soldats alliés dans les combats, au péril de leur vie”, rapporte Ouest-France. Elle y avait pourtant toute sa place.

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