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© UGC distribution

“Dissidente”, “Orlando, ma bio­gra­phie poli­tique”, “La Petite Vadrouille”… nos recos ciné­ma de la semaine

Une héroïne qué­bé­coise qui se bat contre l’esclavagisme moderne, un cinéaste acti­viste trans qui dia­logue avec Virginia Woolf, une croi­sière liber­taire qui s’amuse en toute liber­té, une fic­tion sur un régime géno­ci­daire qui s’inspire d’une his­toire vraie : voi­ci les sor­ties ciné du mer­cre­di 5 juin.

Dissidente

Ce “petit” film qué­bé­cois, réso­lu­ment social et poli­tique, prend aux tripes. Bien docu­men­té, Dissidente nous pro­pulse à Richelieu, ville indus­trielle du Québec, au côté d’Ariane, Canadienne d’origine gua­té­mal­tèque par son père, qui vient de se faire embau­cher à l’usine de maïs comme tra­duc­trice. Sa mis­sion ? Servir d’agent de liai­son entre la direc­tion et les ouvriers gua­té­mal­tèques de ladite usine, main‑d’œuvre déra­ci­née, cor­véable à mer­ci, qui ne parle pas le fran­çais. Très vite, la jeune femme se rend compte des condi­tions de tra­vail déplo­rables qui leur sont impo­sées. Tiraillée – elle a vrai­ment besoin de ce job –, elle va finir par entrer en résis­tance, à ses risques et périls…

Un récit solide, nour­ri par une réa­li­té scan­da­leuse (l’esclavagisme moderne, ins­ti­tu­tion­na­li­sé à défaut d’être légal) ; un fil­mage immer­sif, ner­veux, cadré ser­ré sur les visages ; un tra­vail très fin autour de la langue (le fran­çais étant celle des domi­nants, et l’espagnol, celle des domi­nés) : Dissidente a beau être un pre­mier long-​métrage, il se posi­tionne d’emblée à la hau­teur de ses modèles (Ken Loach et les frères Dardenne). Dense, maî­tri­sé, pla­çant l’humain au centre de son propos. 

Il est d’autant plus pre­nant qu’il est por­té de bout en bout par une héroïne pas­sion­nante car écar­te­lée. Adoptant exclu­si­ve­ment son point de vue, le film avance donc au rythme de sa prise de conscience, de ses doutes et de son enga­ge­ment… Ariane la tra­duc­trice se muant bien­tôt en lan­ceuse d’alerte, au grand dam des petits chefs et autres employées (éga­le­ment sous pres­sion) qui l’entourent. L’implication très forte de la comé­dienne Ariane Castellanos dans ce rôle moteur ajoute encore à l’intensité de l’ensemble : impos­sible de ne pas être saisi·e, puis bouleversé·e !

DISSIDENTE AFFICHE DEF WEB

Dissidente, de Pier-​Philippe Chevigny. © Les Alchimistes

Orlando, ma bio­gra­phie politique

Voilà un film jus­te­ment hybride ! S’inspirant libre­ment d’Orlando – fameuse bio­gra­phie ima­gi­naire signée Virginia Woolf en 1928, dont le héros andro­gyne change tout à coup de sexe, se réveillant femme au XVIIIe siècle –, le phi­lo­sophe et acti­viste trans Paul B. Preciado livre ici un docu­men­taire tota­le­ment dans l’air du temps. Une sorte de tra­ver­sée des genres, à la fois sur le fond, puisqu’il donne à entendre une réflexion pleine de viva­ci­té sur l’identité trans, et sur la forme, puisque Orlando, ma bio­gra­phie poli­tique se situe à la croi­sée de l’essai, de la pièce de théâtre et de la lettre ciné­ma­to­gra­phique. Surprenant !

Narrateur enjoué, voire facé­tieux, le cinéaste ne cesse de jon­gler, pré­ci­sé­ment, entre son his­toire, celle d’Orlando, celle de Virginia Woolf… et celle d’une dizaine de per­sonnes non binaires de tout âge qui, arbo­rant une blanche col­le­rette – clin d’œil à la noblesse du per­son­nage ori­gi­nel – vont, cha­cune à leur tour, incar­ner une ver­sion contem­po­raine d’Orlando. Jalonnant leurs témoi­gnages (à la pre­mière per­sonne) d’extraits du roman wool­fien, elles vont sans cesse, ain­si, faire des allers et retours entre réel et fic­tion, comme entre pas­sé et pré­sent, ins­cri­vant réso­lu­ment la tran­si­den­ti­té – et sa dis­si­dence – dans l’Histoire col­lec­tive, avec un grand “H ”.

On peut s’interroger sur le côté didac­tique un peu for­cé de la démarche, sur­tout que la forme emprun­tée, joli­ment expé­ri­men­tale, ne garan­tit pas une audience très large. À qui, en gros, s’adresse réel­le­ment le film ? On peut aus­si, juste, se lais­ser prendre par l’aspect “beau bizarre” de cette entre­prise mutante et y voir là, d’abord, un objet poétique…

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Orlando, ma bio­gra­phie poli­tique, de Paul B. Preciado.

La Petite Vadrouille

La croi­sière s’amuse, et nous avec ! Cette Petite Vadrouille, qui n’a pas grand-​chose à voir avec la grande, se joue en effet sur l’eau des canaux de notre douce France (et sur une chan­son désuète mais entê­tante d’Alain Barrière…). Bruno Podalydès, réa­li­sa­teur au pied marin (revoir Liberté-​Oléron ou Comme un avion), nous embarque ain­si sur une péniche dénom­mée La Pénichette, en com­pa­gnie d’une bande d’ami·es fauché·es, bien décidé·es à se refaire en arna­quant un riche homme d’affaires ! Autant dire que cette croi­sière liber­taire est l’occasion de goû­ter, une fois de plus, à l’univers poé­tique, bur­lesque et tendre de ce cinéaste flâ­neur… Mais aus­si de retrou­ver la joyeuse troupe qui l’accompagne depuis des années et qui a l’effronterie suprême de gen­ti­ment vieillir avec lui. De Denis Podalydès à Sandrine Kiberlain, en pas­sant par Isabelle Candelier, Florence Muller ou Jean-​Noël Brouté, ils et elles ont su, comme leur capi­taine, pré­ser­ver leur âme d’enfant. Entre tours, détours, petites magouilles et grandes écluses, on les aime d’autant plus qu’ils et elles ont su élar­gir leur cercle far­ceur à deux nou­veaux venus (Daniel Auteuil et Dimitri Doré). Hymne aux per­dants, mais sur­tout à la cama­ra­de­rie, La Petite Vadrouille nous remet tout sim­ple­ment à flot en ces jours moroses !

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La Petite Vadrouille, de Bruno Podalydès. © Dulac Distribution

Rendez-​vous avec Pol Pot

Attention : même si Rithy Panh s’est fait connaître par ses docu­men­taires obs­ti­nés, inlas­sables, sur la “machine khmère rouge” et sa folie meur­trière à la fin des années 1970 au Cambodge, et même si ce nou­veau long-​métrage, pré­sen­té au Festival de Cannes, s’inspire d’une his­toire vraie, il s’agit bel et bien d’une fic­tion. Dense, un peu lon­guette, mais fina­le­ment cap­ti­vante. Rendez-​vous avec Pol Pot nous entraîne en effet dans les pas de trois Français·es – une jour­na­liste fami­lière du pays, un repor­ter pho­to­graphe et un intel­lec­tuel d’extrême gauche –, qui, en 1978, ont accep­té l’invitation du régime géno­ci­daire, espé­rant un entre­tien exclu­sif avec Pol Pot, son chef suprême. À tra­vers leurs trois points de vue (celui de la femme, inter­pré­tée par Irène Jacob, étant le moins dupe et le plus humain), le réa­li­sa­teur franco-​cambodgien donne à voir la tra­gé­die cam­bod­gienne par ses cou­lisses, ponc­tués d’attentes, de silences, de mani­pu­la­tions et de dis­pa­ri­tions non élu­ci­dées (comme celle du pho­to­re­por­ter, un peu trop impa­tient…). Pointant aus­si bien la vision idéa­li­sée de cer­tains Occidentaux que les dérives réelles du sys­tème, il inter­roge donc habi­le­ment ce que l’on voit… comme ce que l’on ne voit pas. Ce tra­vail sur le regard – et sur la mémoire – est d’autant plus trou­blant que Rithy Panh y mêle figu­rines (comme dans son film le plus connu, L’Image man­quante) et images d’archives déchi­rantes tout le long.

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Rendez-​vous avec Pol Pot, de Rithy Panh. © Dulac distribution

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