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© Guido Fua / Unsplash

À Cannes, le fes­ti­val du Botox pose un pro­blème de repré­sen­ta­tion pour les femmes “nor­males”

J’ai 40 ans. J’adore le Festival de Cannes et ses actrices depuis toujours. Mais pour la première fois depuis plus de vingt ans que je le suis, le bal des comédiennes qui ne vieillissent jamais alors que mes rides à moi se forment crée de l’anxiété chez moi. Et m’interroge sur leur, et sur notre, véritable émancipation…

Depuis que le Festival de Cannes a commencé voilà une bonne semaine, nos fils d’actu à tous et à toutes sont saturés d’images de comédiennes toutes plus resplendissantes les unes que les autres. Interviews vidéo, images sur le tapis rouge, montée des marches. Je les vois en long en large et en travers. En gros plan et sous toutes les coutures. Et au bout d’une semaine, le constat est là. Alors que je vieillis, les actrices, elles, rajeunissent. Celles qui ont mon âge et qui auraient dû, comme moi, voir apparaître leur ride du lion, leurs bajoues s’affaisser un peu, leurs pattes d’oie naître aux coins des yeux n’ont pas bougé. Celles qui ont vingt ans de plus que moi, non plus, d’ailleurs. Le temps ne passe pas sur les actrices. La magie du cinéma sans doute… Le pire c’est que je ne peux même pas dire que c’est moche et que ça se voit, car les actrices ont les moyens de faire ça très bien et que ça ne se voit pas précisément. Toute ce qu’on perçoit insidieusement et inconsciemment, c’est qu’elles ne vieillissent pas. Et à dire vrai, je ne m’en rends compte aujourd’hui que parce que, moi, je change.

Évidemment, cet état de fait n’est pas nouveau. Voilà des décennies que les comédiennes ont recours à la chirurgie esthétique de façon industrielle. Un secret de Polichinelle intégré par tout le monde. Sauf qu’entre-temps, le féminisme est passé par là et qu’il n’a pas épargné le monde du cinéma, bien au contraire. Il faut s’en réjouir. Mais du coup, cette année particulièrement il y a comme une dissonance cognitive entre le discours et les images.

J’ai 40 ans, je suis féministe, pas spécialement stressée par le fait de vieillir, pas du tout attirée par la chirurgie esthétique que je trouve antinomique avec mes convictions – même si je respecte le choix de chacune à disposer de son corps –, mais là, après une semaine de tapis rouge, force est de constater que je suis déprimée. Et je ne suis sans doute pas la seule.

Je suis déprimée, parce que ce défilé de Botox me renvoie une image de moi-même dégradée, ce qui n’était pas le cas avant. Déprimée, parce que même les actrices de ma génération, dont beaucoup sont féministes, cèdent aux sirènes de la jeunesse éternelle trafiquée. Déprimée, parce ce que cela révèle que, malgré la révolution en cours, malgré la prise de conscience généralisée du sexisme inhérent à la société, et en particulier au cinéma, il reste impossible pour une actrice de devenir old. Aussi déconstruite soit-elle, aussi “punk” soit-elle, aussi brillante soit-elle, il y a une chose à laquelle elle ne peut pas renoncer : c’est arrêter d’être jeune.

Le problème c’est que pour celles qui les regardent, qui les admirent, qui les aiment, qui se nourrissent de leurs films, qui se projettent en elles, comme moi, le message qu’elles renvoient en creux est implacable. Vieillir est inacceptable. Au bout d’une semaine de fronts désespérément lisses, de fraîcheur éternelle et de paupières hautes, j’ai l’impression d’avoir 100 ans. Et d’avoir échoué quelque part, alors même qu’on me le dit souvent (ce qui d’ailleurs en soi ne devrait pas sonner comme un compliment, mais passons…) : je ne fais pas mon âge.

Il ne s’agit évidemment pas, ici, de critiquer les actrices elles-mêmes, qui survivent comme elles le peuvent dans le monde impitoyable de l’image. Mais bien le système, qui les condamne à ces injonctions.

La mise en abîme est d’ailleurs vertigineuse, cette année, concernant cette question, puisque The Substance, le film de Coralie Fargeat, projeté ces jours-ci, aborde précisément cette question. Il met en scène Demi Moore, qui incarne la présentatrice star d’une émission d’aérobic, qui apprend du jour au lendemain qu’elle va être remplacée par une candidate plus jeune et qui passe alors commande d’un mystérieux protocole de jouvence à base d’injections appelé "The Substance". Demi Moore, toute exceptionnelle actrice qu’elle soit, n’étant pas la dernière à titiller de la seringue, le propos n’en est que plus abyssal. C’est en soi courageux de sa part d’endosser ce sujet, car elle n’est sans doute pas dupe aussi de ce que cela raconte d’elle et, surtout, du piège dans lequel elle (s’)est enfermée.

Mais la vraie révolution ne serait-elle pas, pour vraiment lutter contre le patriarcat, de ne pas dénoncer ces dérives uniquement dans les fictions mais aussi dans la vraie vie ? La prochaine étape du combat pourrait se situer là pour les actrices. Accepter de correspondre à l’âge qu’elles ont. Pour que nous puissions enfin, pauvres mortelles, nous reconnaître en elles à toutes les étapes de leur vie, et de la nôtre.

Lire aussi l Cannes 2024 : Demi Moore à contre-emploi dans un film d'horreur féministe

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