moi aussi
© Maneki Films

“Moi aus­si”, de Judith Godrèche : “Cette affiche blanche témoigne du manque de mélange dans le réseau féministe”

L’absence de femmes racisées sur l’affiche du film, Moi aussi, de Judith Godrèche pointe le manque de représentation et d’inclusivité des femmes racisées dans les luttes féministes. Interview avec la militante féministe Ouarda Sadoudi.

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Sur l’affiche du film, Moi aussi, de Judith Godrèche, on peut voir des dizaines de femmes, mais pas une seule femme racisée. Si la réalisatrice s’est défendue de toute forme d’invisibilisation, expliquant que les femmes présentes sont celles qui ont répondu à son appel à témoignages, reste que l’affiche a suscité le débat, sur les réseaux sociaux, au sujet du manque d’inclusivité dans les luttes féministes, notamment dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Interview avec la militante féministe Ouarda Sadoudi, présidente de l'association Home qui accompagne des femmes précaires et victimes de violences conjugales et cofondatrice des ateliers du féminisme populaire.

Causette : Quelle a été votre réaction lorsque vous avez vu l’affiche du film Moi aussi, de Judith Godrèche ?
Ouarda Sadoudi :
Ce qui m’a tout de suite frappée, c’est de ne pas voir de femmes racisées sur la photo. J'ai vraiment pris le temps de l'analyser, et non, aucune femme racisée n'est visible. Ensuite, j’ai compris qu’il ne s’agissait pas d’un casting, mais que ces femmes avaient répondu à un appel à témoignages. J’ai appris aussi que des femmes noires avaient effectivement participé, notamment Rokhaya Diallo, mais qu’elles n’étaient pas visibles. C’est dommage. Visibiliser des femmes racisées n’est pas un symbole, c’est simplement représenter toutes les femmes.
Je me suis fait aussi la réflexion pour les femmes ayant un handicap visible. Je n'ai pas encore vu le film, mais je sais qu’une femme en situation de handicap témoigne dans le film, tout comme quelques femmes racisées, mais elles ne sont pas sur l’affiche. Judith Godrèche est une personne très visible médiatiquement et c’est dommageable, car une diversité aurait pu avoir un impact. C’est toute la question de l'importance de la représentation : s’il y avait eu des femmes racisées sur l’affiche, une jeune femme racisée, victime de violences sexuelles aurait pu regarder l’affiche et voir quelqu’un qui lui ressemble. L’effet miroir aurait pu lui donner envie de témoigner à son tour. 

 Judith Godrèche a expliqué que les femmes présentes sur l’affiche sont des victimes de violences sexistes et sexuelles ayant répondu à son appel à témoignages. Cela signifie donc que cet appel à témoins n’a pas réussi à toucher des femmes racisées...
O. S. : L’affiche montre en effet qu’une majorité de femmes blanches a réagi et se reconnaît dans le discours de Judith Godrèche. C’est évident, qu’en général, une personne touche des personnes qui lui ressemblent. Ce qui est surprenant en revanche, c’est que personne dans l’équipe du film ne s’est fait ensuite la réflexion qu'il n'y avait aucune diversité sur la photo. Ce n’est pas une critique du travail de Judith Godrèche. Son combat contre les violences sexuelles est important, mais c’est une critique du manque d’inclusion. Il faut veiller à ne pas invisibiliser une partie des femmes. C’est un point de vigilance à avoir. 
Certaines femmes racisées ont pu participer parce qu’elles suivent Judith Godrèche sur les réseaux sociaux, mais il s’agit d’une minorité. L’affiche témoigne pour moi du manque de mélange dans le réseau féministe. Il y a certes de la diversité dans les associations locales, mais moins dans les instances nationales. Lorsque je faisais partie du Haut Conseil à l’égalité de 2019 à 2020, il n’y avait pas de femmes noires et seulement trois issues de l’immigration maghrébine, dont moi. Il n’y avait pas, non plus, une femme asiatique. Sur une cinquantaine de personnes. 

Dans les commentaires du post Instagram du compte militant, "Gang du clito", dénonçant le manque d'inclusivité sur l'affiche, certaines pointent “le manque de légitimité” des femmes racisées à témoigner des violences qu’elles subissent. Qu’en pensez-vous ? 
O. S. : Non, la légitimité, on l’a ! Parler de manque de légitimité, c’est d'ailleurs dire aux femmes racisées que c’est de leur faute si elles ne témoignent pas. Je pense que c’est plutôt un problème d’accès à l’information. C’est parfois plus compliqué pour elles de parler, parce qu'elles n’ont pas accès à certains milieux qui leur permettent de s'exprimer. Raison pour laquelle d'ailleurs, on a vu se créer des nouveaux médias et des comptes militants sur les réseaux sociaux ces dernières années. Il y a aussi un manque de confiance dans les médias. Certaines ont peur que leur témoignage soit transformé, instrumentalisé ou associé à un imaginaire orientalisé. Parce que si l'on regarde les réseaux sociaux, TikTok notamment, les femmes issues de l’immigration, racisées, immigrées s’expriment. Elles parlent des violences sexistes, de la charge mentale… Je pense que c’est plutôt la société qui n’entend pas les femmes racisées ou elle les entend lorsque ça lui permet de parler d’islamisme, de culture tribale ou de crime d’honneur, alors que c’est le même patriarcat pour toutes. Et les féministes racisées doivent être à la table des revendications comme les féministes blanches.

Comment améliorer justement l’inclusion des femmes racisées dans la lutte féministe et permettre une meilleure représentation de toutes les victimes de violences sexistes et sexuelles ?
O. S. :
Je pense qu’il y a un effort collectif à faire, sur la communication militante notamment. Dans le cadre de l’affiche du film de Judith Godrèche, par exemple, il aurait peut-être fallu que l’équipe aille vers des associations plus locales. On ne dit pas que c’est facile de le faire mais il faut essayer. C’est aussi la problématique que l’on peut avoir dans le féminisme : quels sont les réseaux visibles aujourd’hui ? Ce sont ceux qui ont la capacité de mobiliser les médias et les réseaux sociaux. Ce n’est pas toujours le cas des associations de quartier ou des petites associations, faute de moyens. Il faut prendre le temps de se rapprocher du maillage associatif local, pour pouvoir permettre une réelle inclusivité. Ce n’est évidemment pas quelque chose qui se fait en deux jours, mais il faut le garder dans un coin de sa tête. 

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