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©Natacha GONZALEZ / TEVA

“Bonne Mère” : notre entre­tien pré­na­tal avec Laura Domenge

Juste avant son congé maternité, la stand-upeuse Laura Domenge a livré, le temps d’une représentation exclusive, un désopilant spectacle sur son devenir-mère, “Bonne Mère”. À voir d’urgence sur Téva dès le 13 mai !

Il ne s’agit pas de Notre dame de la Garde à Marseille, ni des confitures Bonne maman, même si l’intitulé de son spectacle pop-up, Bonne mère, rappelle un peu ceci et cela. Le choix de Laura Domenge serait plutôt inspiré par les doutes qui ne manquent pas d’assaillir chaque femme enceinte : serai-je une bonne mère et à quel prix ? Dans les années 50, le psychanalyste américain Donald Winnicott en a décomplexé plus d’une en évoquant la figure d’une “mère suffisamment bonne”, ni indifférente, ni écrasante d’amour. Aujourd’hui, à l’aune du phénomène parfois étouffant que peuvent représenter les conseils en parentalité dont nous submergent les réseaux sociaux, cette “bonne mère” pourrait être celle qui fait au mieux en se laissant le droit à l’imperfection et revendiquant qu’on lui fiche la paix. 

C’est bardée de ces angoisses existentielles liées à sa future maternité que Laura Domenge, virtuose humoriste qui vient de mettre en pause la tournée d’Une nuit avec Laura Domenge pour cause d’accouchement imminent, a monté avec fulgurance en à peine quatre semaines Bonne Mère. Présenté en public en avril dans une petite salle parisienne décorée façon baby shower (ballons roses et bleus inclus) où Causette était présente, le spectacle débarque à l’écran sur Téva le 13 mai. On y retrouve les fondamentaux du style Domenge, laquelle s’est parée pour apparaître sur scène d’une longue robe blanche virginale avant de bien vite dévoiler une tenue de disco-femme enceinte, tout en stretch et paillettes : du sarcasme féministe, des blagues sur les représentations toutes faites, de la chansonnette endiablée poussée par une sacrée voix et beaucoup de tendresse. Envers le futur père, le futur bébé et elle-même, future bonne mère. Un spectacle tordant et réconfortant, qui valait bien un entretien prénatal avec Causette.

Causette : Vous en êtes à sept mois et demi de grossesse. Êtes-vous de la team “vivement que ça se finisse” ou plutôt “je resterais bien ainsi ad vitam” ?
Laura Domenge : Franchement, d’un côté, j’ai hâte que cela prenne fin parce qu’on ne va pas se mentir, je ne suis pas mobile, je me cogne partout. Mais d'un autre côté, ce que je vis est quand même trop génial. Je ne pensais pas forcément mais j'adore. Et puis, je profite de mes derniers moments de solitude.

Comment vous est venue cette idée un peu folle de monter un spectacle à six mois de grossesse pour le jouer à sept ?
L.D. : Pour remettre dans le contexte, j’ai appris que j’étais enceinte alors que moi, à la base, je ne voulais pas d’enfant. J’ai donc eu besoin dès le départ de transformer toute cette expérience et d’en faire un spectacle. Mais je me le suis interdit quelques mois en me disant “arrête de tout vouloir rentabiliser dans ta vie, de faire des blagues sur tout”. J’ai réfréné cette idée à donf jusqu’au moment où j’ai annoncé ma grossesse sur les réseaux sociaux en faisant un petit passage de stand-up : j’ai vu qu’en dix minutes, j’avais réussi à écrire un truc qui se tenait et mon public était très réceptif. Ça communiait, je dirais même, c’était assez magique. J’ai dit à mon mec [qui a travaillé à la mise en scène de “Bonne Mère”, ndlr] : “En fait, si j’écris sept minutes par semaine, dans sept semaines, j’ai un spectacle.” Il m’a dit : “T’es complètement malade”, tout comme mon attachée de presse. Et j’ai dit : “OK, mais on le fait.” Ça s’est donc passé dans l’urgence, parce que j’avais trop de choses à dire du fait justement d’avoir passé ma vie à dire que je ne voulais pas d’enfant. Tout d’un coup, accepter d’en avoir un, ça a été un vrai cheminement. Et j’ai vraiment eu envie d’expulser tous les questionnements que j’avais. Avant d’expulser le bébé.

Il y a une idée de challenge quand on monte sur scène à un stade bien avancé de grossesse ?
L.D. : Il y a une énorme idée de challenge. Honnêtement, tout le monde avait très peur autour de moi parce que ça impliquait de faire un peu de rodage dans des villes en dehors de Paris, de reprendre des trains, etc., en plus des déplacements pour la tournée de mon spectacle “Une nuit avec”. Dans mon excitation pour ce nouveau spectacle, j’avais complètement oublié le fait que j’allais être enceinte. C’est-à-dire que ce n’est pas un faux ventre. C’est 15 kilos en plus, beaucoup d’essoufflement, le rythme cardiaque qui s’accélère. Avec le trac, je me fais probablement des montées de cœur à 140 bpm. Enfin, c’est vrai que ce n’est pas rien.
Après, on est toutes différentes par rapport à la grossesse. Moi, je l’ai très, très bien vécue. Je n’ai eu aucun désagrément flippant. Donc, je me suis senti un peu un super pouvoir, dans un contexte d’une espèce d’évidence psychique qui me portait. Il a fallu en persuader l’entourage, qui a tendance à vous voir comme une petite chose fragile qui porte la vie. Mais, moi, je disais, vous ne vous rendez pas compte : ma santé mentale, c’est bien plus important que tout le reste. C’est un paramètre à ne pas négliger avec les femmes enceintes. D’une façon générale, j’ai l’impression que si elles disent qu’elles peuvent, il faut leur faire confiance.

Ecrire ce texte vous a donc permis d’évacuer certaines angoisses ?
L.D. : Absolument. Je n’ai pas réussi à en parler aux autres, à verbaliser avec eux l’ensemble de mes terreurs, alors écrire m’a permis d’évacuer plein d’anxiété. J’ai fait mes questions et mes réponses grâce à l’humour. Je pense que ça aurait été terrible que je plonge dans mes angoisses par la discussion alors que, plonger dedans pour en faire des blagues, c’est incroyable. C’est la meilleure des thérapies. Donc oui, ça m’a vraiment aidée à tout accepter et trouver des solutions à ce qui m’inquiétait.

Que s’est-il passé en vous pour avoir passé trente-six ans à vous dire que vous ne ferez pas d’enfant, puis d’avoir un déclic quand ça vous est tombé dessus ? 
L.D. : Bonne question. Depuis mon enfance, cela ne m’attire pas. Je raconte par exemple dans “Bonne Mère” que quand j’étais petite, j’avais un poupon, mais il restait dans son landau. Toutes les filles qui voulaient jouer au papa et à la maman, ça me saoulait. Je les trouvais très cheloues, surtout celle parmi elles qui voulait faire le chat. Je ne sais pas si vous avez ce genre de copine, vraiment trop chelou.
Lorsque les naissances ont commencé à arriver autour de moi, vraiment toujours pas. Et puis, surtout, je trouve que j’ai peu de sympathie, mais beaucoup d’empathie. Donc, quand je vois des enfants, je suis bouleversée. Tout m’inquiète. Je suis très anxieuse pour eux. C’est difficilement gérable pour moi de m’occuper d’un enfant. Et en plus, ça m’ennuie. Je ne trippe pas à lui apprendre à faire des trucs, à jouer et tout ça. Donc, comme je dis dans le spectacle, j’ai toujours considéré les enfants comme des jeans taille haute, slims, blancs. Ce n’est pas que je n’aime pas, mais je ne porterais pas.
Dans mon spectacle Une nuit avec, qui reprendra en septembre, je me suis beaucoup positionnée en faveur de l’avortement, parce que moi-même, j’en ai subi un. En 2015, quand je me suis fait avorter, ça a été très difficile parce que j’ai découvert, pendant la grossesse, ce que c’était qu’un sentiment d’attachement. Ma raison voulait avorter et mon corps voulait le garder. Ça a été très difficile de réconcilier les deux.
Là, ça a été le processus inverse. Honnêtement, mon mec, c’est un père né. Il a le Bafa dans les veines, c’est un aimant à gosses. Je veux dire, il s’emmerde avec les adultes. Et il suffit qu’il y ait un môme, tac, le môme le regarde, tac, bim, ça connecte. Ils ont un truc de ouf, une conversation de dingue. Je le vois, tac, il le porte, il le fait tourner, hop, machin, rock acrobatique. C’est un truc de dingue. Je savais donc que pour mon mec, c’était un peu le drame de sa vie d’avoir épousé une meuf qui est si cynique et ferme sur l’idée de ne pas avoir d’enfant. J’ai fait ce truc très hypocrite que je dis dans mon spectacle : quand des médecins m’ont dit que je ne pouvais plus en avoir de façon naturelle, je lui ai dit, “écoute, essayons et si la vie veut faire de nous des parents, elle fera de nous des parents”. Je me suis bien fait avoir à mon propre jeu. Par contre, à ça, j’y crois. Je crois pas mal à ce truc de la vie qui décide pour toi. Cette fois-ci, il fallait que je fasse le processus inverse, à savoir, mon corps voulait, ma raison ne voulait pas, mais j’ai réussi à faire cohabiter les deux parce qu’objectivement, là, j’étais avec le bon père et j’ai estimé que c’était une opportunité que la vie m’offrait de s’inviter dans mon ventre. 

Vous embrassez donc la situation et vous en profitez pour faire péter la baby shower dans Bonne Mère”, avec ces ballons et ces paillettes… 
L.D. : J’avais grave envie de faire péter la baby shower. C’est trop marrant, ces traditions. C’est tellement loin de nos cultures, les “gender reveal parties” et tout ça. Je trouvais marrant d’inviter les gens à partager ma joie. Je n’avais pas du tout envie de faire un simple spectacle, mais un événement comme les Américains, un special. Parce qu’il ne faut pas mentir sur le produit. D’une façon générale, dans le stand-up, je dirais qu’un bon cinq minutes, ça met bien un mois à être rodé. Là, en un mois et demi, j’ai fait une heure. J’adore ce spectacle parce qu’il est brut. Je livre un témoignage. Je ne pense pas du tout qu’on ait fait une performance, du fait de son manque de rodage. Par contre, je pense que c’est l’un des spectacles les plus authentiques que je peux sortir dans ma vie. Et c’est rare d’avoir accès à une télévision pour le diffuser. C’est authentique parce que c’est porté par une énergie de l’urgence et du désespoir. Je voulais vraiment qu’on soit ensemble comme si je vous invitais à la maison. Donc, oui, une sacrée baby shower.

Avez-vous finalement indiqué le nom du futur bébé afin que votre père puisse faire personnaliser le sac à langer qu’il trépigne de vous offrir, comme vous le narrez dans votre spectacle ?
L.D. : Il m’en parle dès qu’il m’a au téléphone. Il me fait, bon, ça va ? Bon, et le prénom, tu l’as ? Parce que moi, j’ai le sac à langer à faire broder. Je lui dis “mais ce n’est pas vrai, papa – il n’a pas vu le spectacle encore – stop. Lâche-moi la grappe avec ton vieux sac”. Il ne capte pas que je ne vais pas décider un prénom pour avoir un sac à langer. Non, ça ne connecte pas.

Dans Bonne Mère”, tu t’amuses du fait qu’à 37 ans, ta grossesse est qualifiée de gériatrique.
L.D. : Oui ! Alors, il y a des personnes qui vont justifier ça par des faits scientifiques, en disant que l’âge du corps des femmes dépérit blablabla. Mais en fait, la vitalité des spermatozoïdes des hommes diminue elle aussi avec l’âge, à 20 ans, ils dansent la tectonique et à 80, tout au mieux, la valse. Mais eux, rien sur la paternité gériatrique ! On ne nous épargne pas, les femmes, à tous les niveaux, surtout pas dans la médecine. Le terme “grossesse gériatrique” est assez violent et je pense qu’en 2024, on pourrait lui trouver un petit synonyme un peu sympatoche.

Ressentez-vous la pression à être une bonne mère ?
L.D. : C’est fou. Les femmes ont obtenu d’avoir le choix, et c’est formidable, mais c’est comme si le revers de la médaille était que, parce qu’on choisit d’avoir des enfants, il faut assurer derrière. C’est très culpabilisant. Moi, je trouve ça déjà très culpabilisant de mettre au monde un enfant parce que même si on va lui faire découvrir des trucs super, on sait qu’on l’expose à des trucs super badants aussi.
Heureusement, la pression à être un bon parent se partage avec les pères de plus en plus et ça, ça peut un peu nous enlever de la charge mentale et émotionnelle. Mais la pression sociale qui cible les femmes reste plus forte et débute à la grossesse. On nous flique sur tout ce qu’on mange, notre mode de vie, si on se fatigue trop, etc. Il pleut des jugements. Moi, j’ai prié pour que cette grossesse se passe bien aussi pour ça, parce que je me disais, sinon, on ne va pas me louper. Si tout d’un coup, il se trouve que je dois être immobilisée parce que mon col est ceci ou cela, c’est sûr qu’on va me dire : “Tu vois, on t’a dit, là, tu as tiré sur la corde et maintenant, voilà.” Et ça, ça me rend ouf. J’ai la chance de ne plus fumer parce que ça n’a pas du tout été difficile pour moi d’arrêter. Bien évidemment que tout le monde va assassiner en termes de jugement une femme enceinte qui fume. Bien sûr, j’ai le souhait d’être une bonne mère et ça, ça fait méga flipper. Le problème, c’est qu’il n’y a pas de juste milieu. C’est bonne mère ou mère indigne. Et ça, c’est terrible. Il n’y a pas “juste mère”. 

Que peut-on vous souhaiter pour la suite ?
L.D. : Alors, on peut me souhaiter que l’accouchement se passe bien, que le bébé soit en méga bonne santé et que j’arrive à trouver autant de joie et d’énergie pour la suite de ma vie que celles que j’ai éprouvées pendant cette grossesse.

LAURA DOMENGE BONNE MERE 1 copie

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