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© Capture écran Youtube / France 24

Campus amé­ri­cains : pour une his­to­rienne d’Harvard, l’émotion actuelle contre la guerre à Gaza n’a pas été vue “depuis la guerre du Vietnam”

Depuis deux semaines, les mobilisations de soutien à Gaza se multiplient dans les universités américaines. Pour Julie Reuben, historienne et professeure à Harvard, il existe des similarités avec de précédents mouvements de protestation dans le pays.

Les "divisions profondes" et chargées d'"émotion" sur Gaza, ainsi que le recours par certaines universités à la police sur leur campus, rappellent à Julie Ruben, historienne et professeure à Harvard ayant travaillé sur le militantisme étudiant, certains aspects des manifestations étudiantes contre la guerre du Vietnam, dans les années 1960-70.

Les étudiant·es appellent par ailleurs aujourd'hui à ce que leurs universités coupent les ponts avec les entreprises ou mécènes liés à Israël, une demande de désinvestissement similaire à celle formulée dans les années 1980 concernant le régime de l'apartheid en Afrique du Sud. Entretien avec Julie Ruben.

Quels ont été les principaux mouvements de manifestations étudiantes aux États-Unis ?
Julie Reuben :
La plus grande période de manifestations étudiantes aux États-Unis, et dans de nombreux autres pays, a été celle des années 1960. La première grosse a commencé en 1964, et de 1968 à 1972, les manifestations étaient très nombreuses. Elles concernaient les droits civiques, les droits des étudiants, les libertés, les femmes, et un gros sujet était la guerre du Vietnam. Il n’y a pas eu d’autre période où l’on a connu six années de manifestations intenses sur divers sujets dans de très nombreux campus aux États-Unis. C’est une période unique.
Mais depuis, les manifestations sont fréquentes. Parfois, elles sont modestes et portent sur des problèmes locaux ; parfois, elles deviennent un mouvement national. Comme les manifestations pour le désinvestissement d’Afrique du Sud [durant l’apartheid qui a pris fin en 1991, ndlr].

Les manifestations actuelles sont-elles comparables ?
J.R. :
L’appel au désinvestissement d’Afrique du Sud s’est heurté à une forte résistance, il a fallu des années de militantisme pour que de nombreux campus se désengagent. Les gens ne pensaient pas nécessairement que c’était une bonne chose pour les universités. Mais il n’y avait pas de divisions très marquées à ce sujet. Ce n’était pas un sujet chargé d’émotion, sur lequel les gens avaient des désaccords profonds.
Je pense que les manifestations des années 1960 ressemblaient davantage à ce que l’on observe aujourd’hui. La guerre du Vietnam était un sujet très controversé. Beaucoup de gens pensaient qu’il s’agissait d’une guerre immorale. Mais de nombreux étudiants, au début de la contestation, pensaient aussi qu’il était anti-américain de protester contre la guerre. [Aujourd’hui, sur la situation à Gaza], il s’agit aussi d’un sujet qui suscite de fortes divisions émotionnelles. Et c’est quelque chose que nous n’avons pas vraiment vu depuis la guerre du Vietnam.
Je pense aussi que l’intérêt porté en-dehors des campus aux manifestations, ainsi que la condamnation des étudiants, est une chose qui était très forte lors des manifestations contre la guerre du Vietnam, où il y a eu beaucoup de critiques de l’extérieur, beaucoup de pressions politiques pour les faire taire. Et c’est également ce que nous constatons aujourd’hui.

Et en matière de nombre de manifestant·es ?
J.R. :
Ce n’est pas l’ampleur que nous avons connue au plus fort des années 1960 en matière de nombre de manifestants, mais la vitesse à laquelle le mouvement s’est répandu sur de nombreux campus est, je pense, très frappante.

Quelle a été la réponse des universités, hier et aujourd’hui ?
J.R. :
Dans les années 1960, les dirigeants des universités étaient scandalisés que des étudiants osent organiser de telles manifestations. La répression a été très forte. Mais une tendance est aussi apparue en fin de décennie : plus la répression des manifestations était forte – intervention de la police, arrestations d’étudiants –, plus elles prenaient de l’ampleur. Les institutions ont commencé à se rendre compte qu’il valait peut-être mieux tolérer les manifestations, que cela les ferait disparaître plus vite. Donc, à partir des années 1970 – et je pense que cela s’est poursuivi jusqu’à une période assez récente –, les universités ont souvent réagi aux protestations par des mesures disciplinaires mais pas vraiment sévères. Il est donc frappant de constater que tant d’universités font appel à la police aujourd’hui, car c’était une réaction très courante dans les années 1960, et je pense que beaucoup de gens admettent que ce n’était pas une réaction gagnante.

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