Dans Vivre au camping, un mal-logement des classes populaires, fruit d’une enquête de terrain qui a duré dix ans, le sociologue Gaspard Lion analyse de l’intérieur le phénomène du “camping résidentiel” qui s’étend en France, dans un contexte de crise économique et sociale.
Causette : Vous avez choisi les “habitats non ordinaires” chez les classes populaires comme sujet de recherche. Que regroupe cette appellation ?
Gaspard Lion : J’appelle “logements non ordinaires” des habitats peu protégés juridiquement. Leurs formes architecturales originales les distinguent également souvent des logements traditionnels : caravanes, yourtes, cabanes, mobil-homes, hébergement chez des tiers, squats… Je me suis spécialisé sur cette question, car le nombre de personnes concernées par la crise du logement en France est en forte hausse, en particulier dans les classes populaires, mais aussi dans certaines franges des classes moyennes. L’ampleur de cette crise se mesure également par la diversité de ses manifestations : elle a des conséquences sur la santé des individus, le travail, les études ou, encore, la possibilité de se projeter et de déployer des projets de vie. Enfin, les effets de cette situation dramatique sont de plus en plus violents. Quatre millions de personnes se trouvent en grande difficulté de logement : leurs habitations sont surpeuplées, insalubres, dangereuses ou ne bénéficient pas du confort de base comme l’eau courante, des toilettes, une douche… Plus de 1 million de personnes sont privées de logements personnels en France et le nombre de personnes à la rue est passé d’environ 140 000 en 2012 à plus de 330 000 aujourd’hui. Ce chiffre a été multiplié par trois depuis le début des années 2000. Par ailleurs, le mode de calcul de l’Insee sous-estime l’ampleur du phénomène.
Le logement est l’expression des disparités entre les classes sociales. Dans les milieux modestes, il n’est pas rare aujourd’hui que 40 à 50 % des ressources soient consacrées au logement, alors que la moitié du parc locatif privé appartient à seulement 3,5 % de la population, qui détient au moins cinq résidences personnelles. L’extrême concentration de la propriété explique en partie les inégalités et les difficultés actuelles pour se loger.
En 2012, j’ai réalisé une enquête sur les personnes qui étaient à la rue, dans les bois, les cabanes et dans les bidonvilles. Je suis allé dans les campings et j’ai été frappé par l’ampleur du phénomène qu’est celui du camping résidentiel et qui touche certainement plus de 100 000 personnes. Je me suis concentré sur ce mode particulier d’habitation, car il est peu, voire pas, étudié en France et à l’étranger. Pourtant, aux États-Unis par exemple, cette situation est massive : 7 % de la population vit dans des mobil-homes et des caravanes. Le camping accueille différents profils, ce qui permet en outre d’analyser les conséquences de la crise du logement sur différentes catégories de la population.
Je me suis également intéressé au camping résidentiel, car ces logements sont situés dans les milieux ruraux et périurbains. On a tendance à se représenter la crise du logement presque uniquement dans les milieux urbains alors que ces problématiques sont très prononcées dans les territoires ruraux et périurbains : le taux d’effort, c’est-à-dire la part du budget consacrée au logement, est, par exemple, plus élevé dans ces régions où le nombre d’ouvriers et d’employés est également plus important.
Quel est le profil des personnes qui vivent au quotidien dans les[…]